28.12.08

De la Socca au Vallenato

Partie 1: Durika


C'est reparti sur la route, toujours en direction du sud. J'ai dit que Bluefields était ma destination finale ? Pas tout à fait. Deux semaines de liberté, enfin presque. D'abord départ en équipe pour le sud du Costa Rica où les membres d'une "communauté d'éco-développement" nous attendait pour remplacer les pâles d'une éolienne fabriquée sur le même modèle que les nôtres.

Première partie du voyage en équipe donc, 8 volontaires au total et deux caisses pour les pâles dont une assez encombrante d'environ 2 mètres de long. Résultat: beaucoup de temps perdu à négocier avec des transporteurs plus ou moins crapuleux pour ne pas payer de surplus pour le transport des caisses. D'abord panga, bus pour Managua, taxi jusqu'à la casa bE à Managua, taxi à nouveau, puis bus jusqu'à San Jose. Ci-dessous le passage de la frontière, très lent en raison de tous les immigrés Nicaraguayens qui rentraient chez eux pour les vacances.


A l'arrivée à San José pas de taxis, traversée de la ville à pied donc avec les caisses sur les épaules, puis le lendemain à 5h dans l'autre sens pour un dernier bus en direction du sud du pays.


Un taxi 4x4 est venu nous chercher enfin pour nous emmener dans la communauté située dans la cordillère de Talamanca. Ci-dessous un terrain de football près d'une petite communauté indigène installée sur les pentes de la cordillère.


Le lieu est superbe, mais surtout c'est la communauté qui nous a fasciné. La communauté compte 26 membres dont environ 8 enfants de tous âges, la plupart nés et ayant grandi dans la communauté. Celle-ci existe depuis 18 ans et a été créée par Don German, un costaricien âgé aujourd'hui d'environ 45 ans. Il a travaillé pendant de nombreuses années pour la croix rouge avant de devenir consultant environnemental, puis plus tard fonder la communauté avec le but de créer un nouveau modèle de vie en communauté.

La communauté vit des revenus que lui rapportent son activité éco-touristique ( quelques 500,000 US$ !!) dont 90% servent à financer des projets de reforestation et de développement de méthodes agricoles écologiques. Ces projets de développement sont faits en collaboration avec différentes universités, et un bon nombre des membres de la communauté ont un doctorat en biologie en poche. Le reste des revenus (50,000 US$) sert à faire vivre les membres, soit environ 2,000 US$ par personne et par an. Tout est géré en communauté et personne ne reçoit de salaire. Tout ce dont les membres ont besoin leur est fourni via un magasin central (habits, nourriture, etc ...). Mais les membres ont aussi la possibilité de développer des projets personnels pour financer des besoins personnels (visite à leur famille, achat de livres, etc ...).


Le mode de fonctionnement est pour le moins surprenant puisque tous les membres (enfants y compris) se réunissent tous les jours pour discuter de la journée et des décisions à prendre. Chaque membre a le droit d'exprimer son opinion et toute décision est le fruit d'un long processus qui doit aboutir à l'hunanimité dans la communauté. Un coordinateur est nommé pour 3 mois, et chaque membre passe à son tour. L'objectif étant que chaque membre ait les mêmes connaissances et possibilités que les autres. Un détail à noter est le fait que parmi les presque 20 membres adultes, on ne trouve que 3 hommes. Il semble que pas mal de ceux qui étaient venus s'installer en couple aient abandonné la communauté depuis. Ce qui laisse à réfléchir sur la capacité respective des hommes et des femmes à accepter une restriction de leurs libertés...

Car c'est bien d'une sorte de couvent écologique dont il s'agît. Pour ce qui est de la nourriture, les menus sont variés et extrêmement bons, mais végétariens ! Pourtant la communauté a des chêvres qui fournissent le lait, mais celles-ci sont enterrées quand elles meurent. La présence des chêvres n'est pas le fruit d'un hazard, leur lait est meilleur que celui des vaches pour la santé (similaire au lait maternel humain à plus de 90% et un des rares aliments avec la banane à apporter tout ce dont on a besoin). Le lait de chêvre est aussi bien moins gras que celui de vache, ce qui empêche d'en faire du beurre mais permet quand même de faire d'excellents yoghourts. Il faut noter que le lait produit dans la communauté n'a pas de goût prononcé car c'est le bouc qui lui donne le goût, lequel vit ici séparé des chêvres. Pour autant, le lait étant moins gras, le double de quantité de lait est nécessaire pour produire du fromage comparé à celui de vache. L'élevage des chêvres est aussi bien plus écologique que celui des vaches. Environ 70 chêvres occupent le même espace qu'une vache, ce qui réduit d'autant l'espace de pâturage pour leur élevage, et elles n'endommagent pas le sol comme le font les vaches. Enfin, les crottes servent à enrichir un terreau (compost) qu'ils fabriquent eux-mêmes avec de la terre stérilisée par le feu. Dans un proche avenir elles serviront aussi à alimenter la cuisine du restaurant en biogaz.

Les crottes passent à travers le plancher pour être récoltées facilement, la bergerie étant construite sur pilotis tout comme les maisons.


Les bananiers fournissent aussi de précieux éléments pour le compost, lequel sert à cultiver toutes sortes de légumes et plantes en terrasse, et aussi pour la préparation des fameux Tamales (plat préparé à l'étouffée dans une feuille de bananier). Le bois utilisé pour stériliser la terre par le feu fournit quant à lui du charbon qui peut être réutilisé pour la cuisime (le bois est acheté à des entreprises d'exploitation forestières répondant aux critères de la communauté). Enfin pour être complet, la communauté cultive et produit aussi son propre café, et un petit étang est en train d'être préparé afin de compléter l'alimentation de poisson frais. Ci-dessous la plantation de café:


Pour revenir à l'activité première de la communauté, les fonds qu'elle récolte à travers ses visiteurs sert à racheter des terres défrichées et à les reboiser. Celà se fait en deux temps, d'abord en plantant une forêt secondaire composée d'arbres à croissance rapide comme par exemple l'avocatier qui mourront sous 20 ans. Une petite paranthèse pour signaler que les avocats tels que nous les connaissons sont le fruit d'un croisement génétique opéré par les mayas, le fruit original étant de la taille d'une figue... Une fois ces arbres ayant atteint une taille suffisante, on plante une forêt primaire composée d'arbres à croissance plus lente mais qui vivront des siècles. Ces arbres à croissance lente ont besoin d'un sol riche et d'ombre pour pouvoir se développer pendant qu'ils sont jeunes. Tout celà est fourni par la forêt secondaire qui a pour but de préparer le terrain pour la forêt primaire. Une essence très présente et emblêmatique dans cet endroit est le chêne noir. D'une densité exceptionnelle, il peut rester au contact avec l'humidité pendant 100 ans sans moisir, et vivre largement au-delà de 1000 ans. On l'utilisait jusqu'à il y a peu dans la communauté pour les pilotis qui soutiennent les maisons.

La communauté possède sa propre clinique de soins naturels qui attire beaucoup de monde, et utilise les plantes comme base pour de nombreux soins. Les gens viennent donc soit pour se soigner, soit pour apprendre des techniques naturelles de soin et d'agriculture écologique. Quant aux besoins en électricité de la communauté (c'est un peu pour celà que l'on y est allés quand même), elle dispose d'une éolienne et d'une turbine hydro-électrique, ainsi que de panneaux solaires sur chaque maison. Ci-dessous une Reine de la nuit, qui trône devant l'entrée de la clinique et quelques photos de la faune aux alentours de la communauté:



Ci-dessous l'un des plus gros papillons au monde, notez le détail de la tête de serpent sur la partie haute de l'aile.

Ci-dessous une photo de l'éolienne avant notre intervention: hors d'état.

Et après ... elle alimente à présent plusieurs maisons à l'aide de lampes à faible consommation.


La comparation hydro-éolienne incite cependant à la modestie: alors que notre éolienne peut fournir une puissance maximum de 1,000W (dans la pratique on obtient environ 150 W.h d'énergie disponible à la prise), la turbine hydro-électrique fournit quant à elle une puissance permanente et constante de 12,000 W (soit 12,000 W.h disponible à la prise). Evidemment, une turbine hydro-électrique ne se fabrique pas à la maison comme une éolienne, et représente un investissement nettement supérieur. Mais si l'on compare le prix de l'électricité produite, encore une fois le résultat est sans appel. La turbine hydro-électrique de Durika avec les canalisations représente en gros au total un investissement de 100,000 US$, alors que l'éolienne installée similaire aux nôtres représente un investissement de 10,000 US$. Soit un dixième du prix, mais pour une production inférieure de 100 fois à l'hydro-électrique. Au final, l'énergie hydro-électrique est donc 10 fois moins chère, sans parler de la maintenance. L'éolienne nécessite des baterries polluantes dont la durée de vie n'excède pas 5 ans (idem pour les pâles que nous avons changées). La turbine hydro-électrique quant à elle est garantie 50 ans et ne nécessite presque aucun entretien !! Quant à l'impact environnemental, on ne prélève que 10% du débît d'eau pour la réinjecter 500 mètres plus bas, autant dire que l'impact sur l'environnement est donc très limité. Pour l'éolien le problème est le recyclage des batteries. Ci-dessous la prise d'eau pour la turbine hydro-électrique:

Et la turbine elle-même en aval:


Alors pourquoi pas des turbines hydro-électriques dans les communautés au lieu d'éoliennes ? D'abord parce que l'on n'a pas les outils ni le savoir pour les fabriquer nous-mêmes. Ensuite et surtout parce que Durika se trouve en altitude et dispose de sources d'eau non seulement de très bonne qualité (potable au robinet sans besoin d'aucun traitement) mais en plus avec un très bon débît, et le dénivelé apporte la pression nécessaire (100 bars pour 100 mètres de dénivelé). Sur la côte Atlantique du Nicaragua aucun dénivelé et il n'est pas très réaliste d'installer des petits barrages en raison des fréquentes innondations de la région.

L'eau avait pourtant disparu de la zone où se trouve la communauté Durika, avant que celle-ci ne la reboise en y créant une réserve biologique. Au pied de la montagne se trouve un champs d'ananas de 25,000 hectares, et la petite ville tout près appelée Buenos aires (bon air) par les colons espagnols (la zone était alors entièrement couverte de forêt) est à présent surnomée Malos aires (mauvais air), en raison de la chaleur et de la sêcheresse (et des angrais pulvérisés par avion). On dit que les arbres attirent la pluie, et il suffit de regarder les photos dans le diaporama intitulé "Du Costa Rica au Panama" pour voir que les nuages restent collés à la forêt. Par ailleurs les arbres gardent l'eau et la rendent pendant la saison sèche. Le résultat est que seulement quelques années après que la zone ait été reboisée sont réapparus une multitude de ruisseaux qui ne s'assèchent jamais, même pas durant la saison sèche. Durika est ainsi redevenue une zone humide, et c'est grâce à cet effort de reforestation que la communauté peut aujourd'hui avoir à la fois de l'eau et de l'énergie.

Pour terminer une petite colle ... vous ne remarquez rien de singulier dans la photo ci-dessous ? Bon d'accord on ne voit pas très bien mais notez l'orientation du croissant de lune ...


Après le Costa Rica direction le Panama ... à suivre donc !

5.12.08

Titanienme Kahkabila

Nous y voilà ! Depuis une semaine l'équipe au complet termine l'installation d'un nouveau système hybride éolien/solaire dans la communauté de Kahkabila, sur la lagune Laguna de Perla au nord de Bluefields. Et j'ai eu la chance d'être invité au dernier moment à participer à l'installation. Une personne de GoodEnergies, l'un de nos importants donateurs faisait aussi partie du voyage pour constater le travail effectué dans les communautés.

Au total, entre l'équipe technique et l'équipe de travailleurs sociaux dont deux étudiants de l'URACAN (université indépendante de la RAAS basée à Bluefields), nous étions 14 personnes parties pour un séjour variant de 1 à 10 jours. L'objectif premier était d'apporter l'électricité au centre de santé de la communauté, ce qui doit permettre - entre autres - de garder des vaccins au frais. Un des autres objectifs était de faire comprendre à nos donateurs l'importance et les difficultés liées à l'absence d'électricité dans les foyers.


Je suis reparti avant la fin de l'installation mais tout s'est très bien passé, et le centre de santé compte avec un jeune médecin formé à Cuba qui va développer le service au-delà de ce qui avait été fait jusque là. Il fait partie des brigades de médecins qui en contrepartie d'une bourse pour étudier la médecine à Cuba iront compléter les équipes de médecins que Cuba envoit dans les pays qui en ont besoin. Deux autres invités étaient un couple de français agronomes tous les deux qui souhaitent travailler avec les communautés pour valoriser leur savoirs ancestraux avec la médecine par les plantes. La rencontre avec le médecin laisse envisager une collaboration avec blueEnergy et la communauté des plus prometteuses. A suivre ...




Quant à notre donatrice, il lui a été facile de se rendre compte de l'importance des lampes à LED que nous fournissons dans certaines maisons, et qui permettent aux familles d'avoir une vraie vie sociale après 17 heures sans les déagréments d'un générateur diesel (prix du gasoil dans une communauté qui vit essentiellement de troc, bruit et échappement nocif). La communauté peut ainsi profiter pleinement du calme qui la caractérise, les seuls bruits nocturnes étant ceux des vaches qui se balladent librement entre les maisons. Les habitants n'ont pas de titre de propriété, les terres appartenant exclusivement à la communauté et donc pas de barrières pour délimiter la propriété de chacun.

Pas d'alcool et cigarettes non plus, ni de bouteilles en plastique jetées par terre puisqu'il n'y a pas de magasin, juste les produits alimentaires cultivés ou achetés à Pearl Lagoon, la ville à laquelle la communauté est rattachée et située à environ 1 heure de cheval ou de bateau. Pour ce qui est de l'alcool, celà se justifie par l'absence de poste de police, autant éviter les problèmes donc !

La première impression en arrivant dans la communauté est celle d'un retour au paradis. La communauté consiste en un grand pré impeccable dans lequel ont poussé de manière anarchique des cabannes rustiques mais très bien pensées. Ce sont les premières que je vois notamment avec une cuisine séparée de la maison, ce qui est important pour l'aération de la fumée de bois. Dans les autres communautés la fumée sert à éloigner les moustiques mais est nocive pour la santé. Ici peu de moustiques (ni de sand flies), juste un calme et une tranquilité inégalable. Les gens sont charmants, la plupart pêcheurs avec leur propre cayuco (pirogue construite dans un tronc d'arbre, Dori en créole) avec une voile en plastique épais, parfois même une voile d'avant. De bien belles embarcations véloces et efficaces pour les eaux tranquilles de la lagune.

On y cultive aussi du yuca (manioque), et trouve des arbres à pain de partout, en plus des cocotiers. Pour ce qui est de la viande, des poules, des vaches et même des chêvres assurent une nourriture variée avec les poissons et crevettes de la lagune. On n'y cultive pas de riz mais ce serait possible en raison de la richesse du sol en eau. Ici pas besoin de creuser plus d'un mètre pour trouver une eau de très bonne qualité. La terre est riche et facile à travailler.




Quand aux enfants, généralement ils ont la tête en l'air, tournée vers leurs cerf-volants qui offrent un fabuleux spectacle et arrivent à monter très haut pour être vus loin sur la lagune.


Certains enfants ont également leur propre maison de jeux en palmes que l'on pourrait confondre avec une vraie maison tellement elles sont bien fabriquées. Il faut dire que ce sont un peu les rois de la communauté ...


Il existe un petit hotel dans la communauté, mais étant donnée la taille de l'équipe et notre budget, nous avons opté pour des hammacs dans l'ancienne école, un joyeux fouillis comme le montre la photo ci-dessous.


Ci-desssous un chemin tracé avec acharnement par les sompopos (wiwis en miskito), les grosses fourmis locales qui néttoient tout sur leur passage.


Quant à l'organisation des repas, c'est la femme du leader de la communauté, Mildread, qui nous préparait d'excellents plats à base de riz, oeufs et légumes. La veille de l'arrivée de notre contingent une vache avait été abattue, ce qui nous a assuré aussi une viande fraiche, leur maison servant de restaurant. Coût du service: 50 cordobas (1.5 euros) par jour pour 3 repas avec des produits de très bonne qualité.


blueEnergy est présent dans cette communauté depuis plus d'un an, et avait déjà installé un système qui alimente l'école, permettant des cours du soir aux enfants et adultes. Sept professeurs assurent les cours, avec un enseignement en 3 langues: espagnol, anglais créole et miskito. Kahkabila est le plus bel exemple de réussite de blueEnergy, et verra son accès à l'electricité sans doutes augmenter étant donné le bon fonctionnement de la structure mise en place. Pour l'instant, la communauté compte environ 500 personnes (75 maisons) mais continue de se développer. Un projet d'éco-tourisme apparemment est déjà en marche, et les liaisons avec le chef-lieu Pearl Lagoon assez simples, ce qui offre de bonnes possibilités de dévelopement futur.


Pour plus de photos, j'ai mis un nouveau diaporama appelé "Kahkabila". Un endroit extrêmement agréable qui donne vraiment envie d'y poser ses valises ... Mais pour l'instant retour à Bluefields où le travail ne manque pas. Au programme avant les vacances de fin d'année: agrandissement de l'atelier avec un nouvel espace pour le dévelopement d'un laboratoire pour l'eau (pompage et filtration pour fournir de l'eau potable aux communautés), déménagement de la bibliothèque de l'INATEC pour installer notre nouvel espace CERCA (transformation de l'institut technique en un centre phare pour les énergies renouvelables), et installation de panneaux solaires dans le même centre INATEC.

En même temps je dois finir la rédaction de la politique Ressources Humaines et aider les personnes de la compta à préparer un audit prévu en février pour vailder notre conformité vis-à-vis des lois nicaraguayennes. Ensuite au programme, définition d'une stratégie de dévelopement des communautés, avec l'arrivée depuis hier d'un couple nord-américain qui va rejoindre Kahkabila pour 5 mois afin d'optimiser nos actions sur place. Pour ce qui est des vacances de fin d'année, c'est encore flou mais je vais sans doutes essayer de passer quelques jours dans une des communautés afin d'affiner notre approche et méthode de travail.

Pour illustrer le travail qui est fait en ce moment dans les communautés, cette semaine à Kahkabila l'équipe de travail social a demandé aux gens de la communauté de dessiner leur communauté dans 5 ans, et la prochaine étape sera un atelier sur les possibilités socio-économiques qui peuvent apparaitre avec le dévelopement des communications, notamment avec un système de recharge de portables via notre système électrique.