8.12.09

Le monde est la plus riche des écoles buissionnières

Parfois on apprend au fil des rencontres informelles, dans la rue ou les bistrôts, et parfois on se retrouve l'air de rien assis sur un banc d'école à écouter un maitre raconter l'histoire de l'enseignement. C'est un peu ce qui s'est passé il y a quelques semaines, à l'occasion de la visite d'un expert pédagogue Cubain.

Pour ceux qui ne le savaient pas encore, Cuba a l'un des meilleurs systèmes éducatifs et un taux d'alphabétisation supérieur aux Etats-Unis. C'est aussi l'un des pays pionniers dans la révolution énergétique, pas par idéologie mais par la force des choses. Cette révolution elle est tout près dans les pays du nord, mais tarde à se mettre vraiment en marche. Peut-être que le sommet de Copenhague accélèrera les choses, peut-être pas. Toujours est-il que nous voilà à écouter un cours magistral sur les raisons d'un changement de modèle centralisé à un modèle de production et distribution décentralisé qui s'adapte aux énergies renouvelables et challenges des décennies à venir. Au programme donc démonstration technique, efficacité énergétique, modèles de facturation qui favorisent une réduction de la consommation et surtout l'éducation.

Mario, l'expert en question représentant de Cubaenergía nous a fait un petit clin d'oeil assez inattendu, en relatant son voyage dans la communauté de Monkey Point où il a été invité par blueEnergy. Avec une émotion non dissimulée il nous racontait que le jour de son arrivée à la communauté était le jour de la cérémonie de graduation des élèves de l'école communautaire. Et pas question de s'y présenter avec un costume non repassé. Oui mais voilà, est-ce que le système hybride éolien-solaire installé peut supporter la charge énergétique d'un fer à vapeur ? Discussions entre les membres de la commission d'énergie, consultation de l'équipe technique de blueEnergy qui accompagnait Mario. Réponse: Oui, mais si tout le monde se met d'accord pour ne rien brancher d'autre en même temps. La cérémonie a ainsi pu se dérouler sans plus d'imprévus, après un débat démocratique à faire pâlir de honte les irresponsables individualistes que nous sommes.

Peut-être ne le saviez vous pas mais dans nos pays industrialisés on produit beaucoup plus d'énergie que ce que l'on consomme, entre autre à cause des pertes considérables dûes aux distances du réseau de distribution centralisé. C'est l'une des raisons qui ont conduit Cuba à décentraliser sa production A l'autre extrême de la centralisation on trouve notre système de Monkey Point qui donne de l'énergie à une vingtaine de familles. Dans cette communauté, on demande à une communauté qui il y a 5 ans ne savait rien des miracles de l'énergie, non seulement de devenir des techniciens capables de réparer un système complexe dont tout est nouveau, mais en plus de gérer l'énergie produite de façon bien plus démocratique que ce que l'on fait dans nos pays soit disant éduqués où l'énergie est culturellement une source illimitée qui répond à nos infinis désirs.

Il y a bien dans nos pays quelques exemples d'associations de propriétaires qui ensemble gèrent leur énergie mais c'est plutôt rare, le réseau national n'étant jamais bien loin. Il n'en est pas de même dans tous les coins de la planète, et bien souvent ici même si le réseau se trouve relativement près, une petite communauté multiethnique et désorganisée n'est pas un marché intéressant. Dans tous les cas, cette présentation était l'occasion de se rendre compte que si la côte Atlantique du Nicaragua où 75% des gens vivent sans aucun accès à l'énergie a un grand besoin d'éducation sur l'énergie, dans nos pays du nord on a en revanche un au moins aussi grand besoin de réapprendre ce que l'on croyait savoir sur l'énergie.

Pour revenir au cas de la côte, l'éducation y est un enjeu important, par exemple pour arriver à y développer la première formation en énergies renouvelables d'Amérique Centrale. C'est ce que blueEnergy s'efforce de faire en partenariat avec l'INATEC de Bluefields. Mais tout çà c'est encore un peu théorique, alors que l'éducation c'est parfois très concret. Un exemple sur lequel je travaille en ce moment se trouve tout près de Pearl Lagoon, une école tout à fait particulière créée par FADCANIC, un centre d'éducation environnemental et agro-forestier. Jusque là rien de bien nouveau, à part l'approche de ce qu'est l'éducation dans ce centre. On y enseigne des techniques d'agriculture qui préservent l'environnement, avec pour chaque élève l'obligation de réaliser un projet de fin d'étude dans sa communauté qui validera son diplôme. Une manière simple de connecter l'école avec le développement des communautés, en impliquant non seulement les élèves mais aussi d'autres membres de la communauté. L'idée est que le savoir qui y est enseigné soit transmis directement et utilisé dans les communautés.

Et ce n'est pas un hasard si ce centre éducatif a une partie dédiée à l'éco-tourisme. Car si ce savoir est bon pour les gens des communautés de la côte, il est bon aussi pour nous-autres gringos. Et puis, les temps changent petit à petit. Les énergies renouvelables avancent comme point charnière du développement durable, mais pas toutes seules. Elles se trouvent en ce moment dans l'agenda de toutes les grandes agences du développement, au même rang que la santé, l'environnement et l'éducation. Et ce n'est pas un hasard, car si l'on met ensemble énergie, environnement et éducation, on obtient par exemple sensibilisation à la préservation de l'environnement et au besoin d'une consommation d'énergie raisonnée. CQFD.

Maintenant pour attirer des éco-touristes il faut différents ingrédients. Les paysages, ici on a ce qu'il faut. Pour ce qui est de la culture, on est à quelques brassées à la nage des communautés Garífunas dont je parlais dans l'article précédent. La culture inclut notamment la gastronomie, comme par exemple le pain de manioc que préparent les mêmes Garífunas. Pourquoi pas le cuire à l'aide de biogaz. Une installation de biogaz, ça FADCANIC sait le faire. Mais ce qu'ils ne savent pas faire c'est installer un système d'énergie renouvelable pour que l'éco-turista puisse déguster son "Cususa" (sorte de rhum à base de plantes et de racines) bien frais. Et bien sûr l'éducation, expliquer comment cela marche, quel est l'impact de nos erreurs passées sur la forêt de la Côte, et pourquoi les communautés pêchent et chassent moins qu'avant, pourquoi à présent ils importent la plupart de leurs produits alimentaires en tournant petit à petit le dos à leurs traditions.

Tout cela est lié et est le sujet d'un petit projet que j'essaye tant bien que mal de formuler en ce moment. Comment FADCANIC et blueEnergy peuvent collaborer pour réunir énergies propres et consommation raisonnée (efficacité énergétique), éducation (sensibilisation), environnement (éco) et développement (tourisme), et enfin préservation de la culture locale.

Un autre sujet aussi beaucoup abordé ces semaines est l'utilisation de la biomasse. C'est la source d'énergie la plus abondante ici sur la côte. Mais le problème est encore une fois de trouver l'équilibre juste pour l'échelle, penser solution locale plutôt qu'économie d'échelle, viabilité socio-économique plutôt que rentabilité financière de produit alimentaires réorientés au final à la production d'énergie. Comment éviter les pièges des immenses mono-cultures destructrices de l'environnement et de la souveraineté alimentaire ?

Une partie de la solution se cache dans l'approche que l'on choisit pour répondre au problème. Un problème qui a des implications sous-jacentes tellement multiples requiert une analyse globale (sociale, économique, environnementale, énergétique). C'est alors qu'apparaissent des notions qui ne sont pas une solution en soi sinon une combinaison intelligente de solutions comme la cogénération, le recyclage et la réutilisation de déchets pour générer de l'énergie, d'arbres déracinés par le dernier ouragan pour générer de l'énergie de manière efficace et sans polluer (gazéification de biomasse), de réutiliser l'eau de pluie avec laquelle on s'est lavé les mains pour la chasse d'eau.

Rien de nouveau dans tout ça en fait, mais le modèle industriel en vigueur a éclipsé ces technologies pendant longtemps car elles remettent en cause le modèle entier de développement économique. Une cararctéristique des énergies renouvelables est qu'elles se trouvent éparpillées, et un modèle énergétique qui les incluerait de façon efficade à grande échelle implique une décentralisation de la production, d'avoir 10000 unités de production au lieu de 10, plus près du consommateur et plus flexibles pour s'adapter aux variations locales de la demande. Mais celà veut dire aussi une plus grande ouverture du marché de l'énergie, ce qui n'est pas forcément non plus facile avec le système actuel dans lequel prévaut l'intégration et le monopôle.

Dans tous les cas, on a encore une fois tous vraiment besoin de retourner sur les bancs de l'école ! Et puisque d'éducation il s'agît ici, un rapide commentaire pour dire qu'en arrivant ici je pensais qu'enseigner était le travail le plus fatiguant qu'il existe. Après avoir passé un an à essayer de faire marcher une bande de volontaires dans la même direction j'en suis à présent complètement convaincu. Ce que l'on essaye de leur faire comprendre n'est pourtant pas compliqué, on leur demande d'écouter. Mais ce n'est pas si naturel qu'il y paraît. Ecouter cela veut d'abord dire laisser de côté le "moi je", arrêter d'être celui qui sait et écouter pour comprendre ce dont les gens ont vraiment besoin. Parfois il est dur d'accepter que l'impact que l'on aura sera plus grand en écoutant plutôt qu'en venant démontrer ce en quoi l'on croit.

Les problèmes de la côte ici et d'autres endroits isolés sont souvent similaires et liés à l'isolement: manque d'infrastructure qui les prive d'accès à un marché pour leurs produits, réduisant leurs possibilités économiques à un simple troc de subsistance. Manque d'éducation et de santé en raison de la difficulté de trouver des professeurs et médecins, poussant souvent les jeunes à quitter la communauté. Manque de communications pour pouvoir consulter un médecin compétent à distance pour un diagnostic, coordonner une évacuation voire organiser un semblant de commerce. Et finalement, le manque d'éducation accompagne généralement un manque d'organisation qui réduit à néant les possibilités de voir un quelconque projet voir le jour.

Les tout premiers pas d'un projet de développement dans une communauté qui se trouve dans cette situation d'échec ressemblent beaucoup à une école buissonière où tout le monde s'assied en cercle et où chacun tour à tour écoute et explique le pourquoi on en est là, les raisons de l'échec et aussi ce qui empêche de faire que celà fonctionne. Et tout le monde est à l'école, les visiteurs étrangers comme les membres de la communauté. Ensemble on essaye de formuler quels sont les problèmes à résoudre en priorité, et définir quels sont les points bloquants, pour essayer ensuite de les résoudre. Une sorte d'enseignement spécialisé pour cas difficiles mené par des enseignants eux-mêmes élèves à l'école de la vie. Une bien belle école en tous cas !

Bonnes vacances et fêtes de fin d'année à tous !!