12.1.09

Nouvelles du projet

Je risque de répèter certaines choses dans cet article qui fait suite à un message que j'ai reçu me rappelant la difficulté de faire comprendre la démarche. Et en l'absence de commentaires sur le blog à ce sujet, il est difficile de savoir ce que les gens en pensent. En revanche j'en profiterai pour éclaircir certains points et donner quelques nouvelles.

D'abord une première chose est que ce blog a pour principal objectif de tenir informés les gens qui me connaissent, avec pour hypothèse de départ que ce cercle de personnes était plus intéressé par les photos de voyages que par des photos d'éoliennes. Mais du coup, certains pourraient penser que je suis en vacances et que le projet n'est qu'un prétexte. Et bien si c'était le cas, ce serait vraiment stupide de ma part. D'abord parce que contrairement aux autres VSI français, je n'aurai pas droit au chômage en rentrant en France, et vu la crise actuelle la réinsertion risque d'être pour le moins aléatoire. Ensuite parce qu'en venant ici je suis passé d'un horaire de travail de 38 heures à 48 heures hebdomadaires. Et enfin, pour ce qui est des palmiers j'en ai vu durant mes voyages mais à Bluefields il n'y a pas de plage. Ce que l'on voit à Bluefields ce sont surtout des chiens galeux et des taxis (il n'existe pas de route pour venir à Bluefields), et l'unique occupation le week-end consiste à aller se ballader dans le bush.

Le projet de blueEnergy n'a pas d'équivalent parmi les ONG étrangères en Amérique Centrale, et la différence avec les autres ONG réside dans l'approche de ce qu'est le développement. Chacun a sa propre vision et définition de ce qu'est le développement, mais la meilleure n'est elle pas celle de celui qui doit en bénéficier ? Il existe aussi une infinité de manières d'évaluer un projet. La plupart des gros donateurs l'évaluent en foncion de la puissance électrique installée. Même s'ils savent que puissance installée n'est pas puissance générée, ni à quoi la puissance générée est utilisée (si elle l'est), mais revenir sur ces critères veut dire remettre en cause des décénies de politiques d'aide au développement plus ou moins teintées de post-colonialisme.

blueEnergy est une petite ONG qui a vu le jour grâce à des amateurs enthousiastes des énergies renouvelables et du développement. Et le professionalisme des grandes ONG qu'ils n'ont pas, ils le compensent avec une vraie volonté d'apprendre et de sans cesse remettre en cause ce qu'ils croient savoir. Résultat: si l'on regarde le site web, on peut se dire que le nombre de systèmes éoliens/solaires installés est faible en 4 ans d'existence et après le passage d'une centaine de volontaires.

Pour éclaircir ce point important, je vais revenir en arrière et parler du premier système installé. Il s'agît d'une petite communauté de Punta de Aguila, au sud de Monkey Point et de Bluefields. Les frères Craig y ont installé leur première éolienne pour l'ethnie Rama avec lesquels leur mère travaille depuis plus de 20 ans. Seulement, 4 ans plus tard leur bonne volonté n'a donné que peu de résultats pour cette communauté, pas vraiment de structure stable pour gérer le système, et personne n'est capable de prendre à sa charge la maintenance.

Cette première expérience, même si loin d'être une réussite, les a convaincu de la nécessité d'un profond travail d'étude et analyse de l'organisation de la communauté avant même de songer à y installer quoi que ce soit. C'est comme celà que le travail social avec les communautés a débûté pour à présent prendre une place très importante et permettre de rectifier les erreurs passées. Mais c'est à ce prix que les premières installations qui ajourd'hui sont reconnues par nos donateurs comme de belles réussites ont vu le jour. L'étude socio-économique s'est affinée au fur et à mesure que l'expérience se capitalisait, et nous comptons à présent avec l'aide d'une personne locale qui a plus de 20 ans d'expérience avec les communautés. Cette personne est ingénieure agro-forestière, et en plus d'enseigner dans une université de Bluefields la gestion de micro-projets, elle nous apporte son aide sur la méthodologie de travail avec les communautés.

C'est ainsi que plusieurs ateliers participatifs ont eu lieu à Kahkabila, la communauté où nous avons installé notre dernière éolienne. Un premier atelier pour former la commission de l'énergie, dont les membres ont suivi ensuite une première formation technique à toutes les opérations de maintenance du système solaire/éolien. Un autre atelier incluant tous les membres de la communauté a été l'occasion de lister les problèmes rencontrés par chaque famille.


On leur a également demandé de dessiner ensemble comment ils imaginaient leur communauté dans plusieurs années.


Une nouvelle rencontre a eu lieu avec un organisme local de micro-crédit, et une étude a été menée pour savoir quelles familles pourraient recevoir une batterie chez eux. Il s'agît de monter en accord avec les responsables de la communauté un plan de micro-crédits réaliste et qui subvienne au mieux aux besoins des gens. La commission de l'énergie mise en place dans la communauté a un rôle fondamental, car c'est elle qui va fixer les règles de ce qui est fait avec l'énergie. Elle va par exemple (avec notre aide) déterminer combien chaque famille peut payer en fonction de ses revenus. Certaines familles sans revenus apporteront une participation sous une autre forme. Elle va aussi participer au processus d'identification des familles qui peuvent être inclues dans le programme de batteries à domicile.

Comme je l'avais déjà mentionné, ce dernier système installé sert à alimenter un centre de santé, dans lequel en plus de pouvoir recevoir les gens la nuit (après 17h), on trouve des vaccins qui peuvent à présent être conservés au frais. Un premier système installé servait déjà à alimenter l'école, et en même temps à recharger les téléphones portables, service pour lequel payent les gens, ce qui leur permet de commercer plus facilement avec la localité proche de Pearl lagoon et de générer un fond commun pour l'entretien de l'éolienne.


Une remarque que j'ai entendue aussi est sur la structure de blueEnergy qui semble professionelle, ce qui peut porter à confusion. L'organigramme de bE a été en réalité imposé en grande partie par les gros donateurs avec qui l'on essaye de travailler: le PNUD (Nations Unies), la Banque Mondiale, la Banque Interaméricaine de Développement et d'autres. Le projet a d'ailleurs récemment été approuvé par le PNUD, lequel cherche à présent des pays qui nous financeront, soit à travers le gouvernement local, soit directement. A cet effet, un gros audit opérationel est en préparation ces prochaines semaines avec l'analyse de tous les process (achats, règlement interne, comptabilité, ressources humaines, mécanismes de prise de décision, etc ... C'est d'ailleurs une matrice de décisions exhaustive qui occupe mes journées en ce moment. Et sans l'organigramme actuel, aucun moyen de passer l'audit avec succès.

Au final, presque tous les volontaires sont managers de quelques chose. L'idée est que chaque activité ait une personne responsable de la faire avancer. Ce qui ne veut pas dire qu'elle ne fasse que superviser d'autres personnes. Parfois le manager est aussi la seule personne à travailler sur le sujet qu'elle manage, mais au moins ses responsabilités et fonctions sont clairement définies. En ce sens, la structure de bE est quasi-professionelle, mais les acteurs restent tous volontaires, y compris le directeur Nicaragua qui est VSI comme moi. Les seuls salariés sont les travailleurs locaux qui eux bénéficient d'un contrat fixe (CDI) avec une couverture sociale complète. Et leur nombre total est presque égal à celui des volontaires internationaux. Le fondateur aux USA est lui aidé financièrement depuis peu par un organisme de soutien aux entrepreneurs sociaux (Ashoka), mais a vécu pendant les 4 dernières années sur le salaire de sa femme. Quant au directeur en France, il travaille à côté et assure son rôle pour blueEnergy sur son temps libre (et parfois son temps de travail ..).

L'effort budgetaire pour payer les salaires des employés locaux est colossal pour une petite structure comme blueEnergy. Mais c'est aussi la première chose dont parlent les gens de Bluefields quand on leur demande ce qu'ils pensent de blueEnergy, connaissant la difficulté à trouver un emploi sur la côte. A ces 13 employés à Bluefields doivent aussi s'ajouter les opérateurs des systèmes installés qui sont rémunérés par la communauté grâce à l'énergie produite. Le financement des salaires et du coût que représentent aussi les volontaires est d'autant plus grand que très peu de donateurs acceptent de les financer, étant considérés comme des frais généraux, plus ingrats qu'un nombre d'installations sur lesquelles on peut aposer son nom.

Il suffit en effet de se ballader à travers le Nicaragua pour constater que la plupart des ponts et ouvrages d'art est accompagné d'une pancarte avec le nom de l'organisme qui l'a financé, ce qui est de bonne guerre. Mais quand on sait que pour chaque éolienne installée le coût du matérial est infime par rapport au reste, alors vous comprenez mieux la difficulté pour financer ces frais qui se répartissent entre voyages en panga dans les communautés, discussions avec les différents acteurs locaux, gouvernement local, mairie à laquelle est rattachée la communauté, organismes de micro-crédit, enquêtes sur le terrain de suivi sur le progrès apporté dans la communauté, suivi de la formation aux opérateurs et du travail de la commission de l'énergie pour chaque communauté, etc ... Heureusement il existe des organismes comme HIVOS qui sont conscients de celà et nous apportent un soutien vital.

Certains employés locaux de blueEnergy ne savaient pas lire ni écrire quand ils ont été embauchés. Avec blueEnergy ils suivent des cours gratuits qui leur permettront d'ici 2 ans d'avoir un niveau correspondant à l'entrée au collège. Beaucoup de personnes au Nicaragua n'ont même pas de carte d'identité car n'ayant jamais été recensés, l'inscritpion des employés à la sécurité sociale a été l'opportunité de régulariser leur situation, leur ouvrant ainsi des droit basiques auxquels ils n'avaient jamais eu accès.

L'impact économique du projet est il alors plus important à Bluefields que dans les communautés ? Celà n'est pas comparable car le rythme des travaux dans les communautés n'est pas le même, et l'avis général d'autres ONG locales présentes depuis 20 ans, et que nous avons rencontrées lors de nos conférences cet automne est unanime: un projet dans une communauté pour devenir auto-géré et viable représente au minimim 5 ans d'efforts continus. C'est le prix à payer pour rendre un développement local durable.

En parallèle, un autre sujet qui nous occupe tout autant est la promotion des énergies renouvelables, afin qu'elles soient enfin inscrites dans le programme du gouvernement et enseignées dans les universités. Vaste chantier mais qui quand il est fait en groupe avec d'autres partenaires et institutions locales peut donner des fruits prometteurs. C'est la raison de la collaboration avec l'INATEC de Bluefields et de Managua, ainsi qu'avec l'Université Nationale d'Ingénierie. L'une des tâches importantes du directeur consiste à fomenter des alliances avec les entités gouvernementales et autres ONG qui accélèreront et renforceront l'impact au niveau local mais aussi national de l'ONG. Ci-dessous l'équipe au complet lors des conférences que nous avons organisées sur les énergies renouvelables et le développement durable:



Un autre sujet enfin tout aussi prenant que l'énergie et complémentaire est l'eau. C'est souvent le problème le plus important dans les communautés avec l'absence d'électricité. L'eau se trouve souvent en quantité mais n'est pas potable. Un premier pas est donc de développer des filtres efficaces et simples à fabriquer sur la côte. Nous avons opté pour des filtres à sable volcanique, dans lesquels se développe une culture de micro-organismes qui vont tuer les bactéries dangereuses pour notre organisme. Ces filtres sont actuellement en test et donnent des résultats très encourageants. Au carrefour entre l'eau et l'énergie se trouve aussi le pompage et la distribution de l'eau. Si l'on combine ces techniques avec la filtration de l'eau, celà nous permet d'apporter une solution intégrale avec un mini réseau de distribution d'eau. Mais de même que l'énergie, l'apport de nouvelles techniques est voué à l'échec s'il n'est pas accompagné d'une activité de sensibilisation et d'un suivi avec les familles qui en bénéficient.

Les 4 ans d'existence du projet permettent de tirer un premier bilan, et un point important est que la partie technique du projet est déjà en bonne partie transférée aux travailleurs locaux, tout comme l'est l'activité d'analyse socio-économique. Les volontaires travaillent de leur côté de plus en plus à développer des applications inovantes à l'énergie qui répondent aux besoins des communautés. Celà aussi se fait en tissant des liens avec d'autres ONG locales ou internationales qui travaillent déjà sur ces solutions, et à nous de les appliquer au contexte local des communautés avec lesquelles nous travaillons.

Dans 2 ans devraient sortir les premiers diplômés de la formation sur les énergies renouvelables que nous ellaborons avec l'INATEC. Ils pourront alors être embauchés par exemple pour construire des pièces de rechange pour des systèmes que blueEnergy a installés, ou pour en installer de nouveaux. D'ici là, blueEnergy devrait avoir commencé à développer une activité commerciale en parallèle au travail avec les communautés. Les communautés ayant un système en place depuis quelques années en seront les premiers clients pour des pièces de rechange. Mais avec le développement des énergies renouvelables dans le pays, d'autres clients potentiels devraient apparaitre peu à peu et cette activité permettra de poursuivre de manière quasi-autonome le projet d'aide au développemnt des communautés. Si tout va bien et se passe de cette façon, le modèle de blueEnergy sera alors prêt à être exporté. L'Afrique est la prochaine étape, mais ne démarrera pas avant quelques années, le temps de consolider le modèle actuel.

Quant à moi, mon travail continue d'évoluer petit à petit. D'abord devenu le coordinateur des volontaires, je commence à présent à coordiner les différents projets de financement. En pratique je dessine le plan des actions à mener dans les différents domaines qui répondent aux engagements avec nos gros donateurs. HIVOS est le plus gros pour l'instant, un autre pour lequel je dois ellaborer un budget et plan d'activités annuel est la fondation de GoodEnergies. Il s'agît de trouver le meilleur compromis entre nos objecifs à nous (peu d'installations mais qui marchent) et ceux des donateurs, ce qui conduit souvent à d'inombrables propositions et ajustements. C'est pourquoi un nouveau bureau à Managua va voir le jour d'ici quelques mois. Mais pour ma part, je ne bougerai pas de ma petite ville perdue au milieu du bush, et dans un mois je serai déjà à la moitié de mon contrat. Le temps passe tellement vite !