28.2.10

Au fil de l'eau

Si je devais deviner mes éléments zodiacaux, je parierais sur l’air et l’eau. L’air pour le ciel et les étoiles – ici ce n’est pas ce qu’il manque avec ma bande d'insouciants volontaires, et aussi parce que les belles nuits étoilées sont l’un des rares luxes des zones où l’électrification n’est encore qu’un lointain rêve. Et l’eau parce que forcément. D’ailleurs c’est tellement évident que si je l’avais su plus tôt, d’abord j’aurais débuté la voile et la plongée plus tôt, et ensuite je n’aurais pas perdu autant de temps à essayer de ne pas me mouiller.

Et ici je ne fais que çà, en panga ou dans le travail, ce qui dans la vie normale – c’est-à-dire dans un pays où rien ne fait défaut – se ferait les pieds au sec, ici se termine invariablement mouillé jusqu’au cou. Parfois c’est le pays qui a décidé de vous en faire découdre avec vos convictions de petit bourgeois (ce à quoi je finis ici parfois à me comparer), soit ce sont les volontaires qui vous renvoient dans vos derniers retranchements, le mur séparant vie privée et travail n’existant pas ici pour s'y retrancher. Soit enfin c’est l’eau qui vient à vous quand vous vous y attendez le moins, comme la septième vague que connsaissent bien les marins, ou comme dans l'histoire du pêcheur que je racontais dans le dernier article et qui s'est retrouvé retranché dans son bateau, suspendu au-dessus d'une petite île balayée par une tempête.

Parfois cette expérience de volontariat me rappelle un peu l’armée, à la différence près qu’à l’armée je suis sorti avec le même grade que celui avec lequel j'étais entré, alors qu'ici j'ai acquis en peu de temps un grade de baby-sitter en chef avec des responsabilités aussi réelles que ne l'étaient les géants de Don Quichotte (je me demande parfois comment Don Quichotte aurait appelé sa monture si celle-ci avait été un bateau).

Même si j’arrive à me libérer de ces responsabilités de temps en temps, le temps d’un voyage au fil de l’eau, pas question ici de s’éloigner trop longtemps. Cette semaine s’achève après la remontée du troisième grand fleuve et réserve naturelle de la côte, le Rio San Juan. Pour y arriver, un voyage dans une panga plus volante que flottante, bolide propulsé par deux moteurs V6 sommant 450 CV. Pour la petite anecdote, 450 chevaux est égal à environ 350 kW, ce qui représente 10 fois la puissance consommée par le générateur diesel de la communauté Garifuna d’Orinoco, qui compte entre 1000 et 2000 habitants.

Ce petit parallèle cocasse à part, ce n’est pas moi qui me plaindrai de me retrouver à nouveau entre ciel et mer, même si à choisir j’aurais volontiers préféré faire le voyage avec mon cayuco enfin gréé (photos à venir) – nettement moins bruyant et plus romantique même si un tantinet moins rapide.

Cette cavalerie rugissante nous a amenés en un temps record à la communauté de San Juan del Norte, alias Greytown. Cette communauté ne se distingue par aucun intérêt particulier - se trouvant trop près du Costa Rica dont les touristes font grimper les prix et dégringoler la qualité de l’accueil – si ce n’est par son histoire. Le nom anglophone de Greytown date de l’époque où la communauté a été fondée, sous la domination des anglais et américains.

Cette période comprise entre le 17ème et 19ème siècle correspond à celle des pirates comme Henry Morgan puis de l'amiral britanique Nelson qui ont tous les deux laissé leur trace dans le coin. Greytown était l’entrée de cette voie unique qui permettait de rejoindre le lac Nicaragua et la riche ville coloniale de Granada. D’ailleurs, le même fleuve a été le point de départ de plusieurs projets de canaux transocéaniques qui devaient finalement connecter le lac de Nicaragua à l'ócéan Pacifique. Finalement c'est le projet du canal du Panama qui a vu le jour.

A Greytown, l’unique endroit valant la peine d’un court détour est sans doutes le cimetière de l’ancienne ville, qui fut détruite et brûlée durant une autre période tourmentée – celle de la guerre de la Contra – période d'un autre genre de pirates dont le plus connu s'appelle Ronald Reagan. Depuis, la communauté a été reconstruite un peu plus haut, sur le Rio Indio – fleuve qui a donné son nom à la réserve dans laquelle on trouve une autre communauté Rama du même nom.

Depuis Greytown, nous avons pris un bateau lent pour suivre les traces de ces valeureux pirates, bateau qui après 8 heures d’une remontée laborieuse en raison du bas niveau du fleuve, nous a laissés au petit village de El Castillo.

Là-bas, petite visite guidée du fort (chinoiserie de mon camarade de voyage, le même avec qui j’avais exploré la RAAN), avant de prendre cette fois une panga plus rapide pour rejoindre la petite ville non moins charmante de San Carlos.

J’avais déjà été séduit une première fois par cette ville, à l’embouchure du fleuve San Juan et du lac Nicaragua, d’où l’on peut contempler de somptueux couchers de soleil avec l’archipel de Solentiname ainsi que l'île d'Ometepe et ses deux volcans Concepción et Maderas pour toile de fond.

Je passe sur le retour à Bluefields (par la terre pour avoir raté le ferry qui traverse le lac de Nicaragua, de San Carlos à Granada), pour sauter directement à la semaine sainte de Pâque, c'est-à-dire dans le futur. Au programme, de l'eau encore, avec avant celà quelques semaines d'intense préparation de notre fière embarcation et de son expérimenté équipage pour - en principe - réaliser une traversée à la voile de la baie de Bluefields en direction du sud pour rejoindre la petite île de Rama Cay, et peut-être remonter ensuite la rivière Kukra à l'intérieur du territoire Rama, à la rame cette fois. A suivre donc...

Mais avant de terminer cet article, une petite vidéo de la fête qui vient d'avoir lieu à Bluefields pour l'élection de Miss Bluefields au titre de Miss Nicaragua 2010, première femme noire à être élue dans l'histoire du concours au Nicaragua. Pour la petite histoire, la candidate est la soeur d'un chanteur local que je connais bien, et le moins que l'on puisse dire est qu'elle porte à merveille le diadème de la beauté Bluefileña et Costeña ...