29.9.08

Recherche (de fonds) et Développement (durable)

Hier je me suis rendu compte de deux choses: la première est que j'ai besoin d'avoir les pieds en mouvement pour réfléchir ou trouver l'inspiration, et la deuxième est que je suis un peu comme Forrest Gump. Je traverse régulièrement des endroits et des situations que je ne comprends pas vraiment, pour le simple plaisir de la découverte et de l'instant, en espérant au final une surprise, une nouveauté ou une rencontre quelle qu'elle soit.

Je parle à la première personne du singulier, mais celà pourrait être la première personne du pluriel pour dire nous, cette race étrange que l'on appelle les coopérants. Même si ici je suis un peu différent des autres, disons un peu plus vieux. Le volontariat a cette chose si particulière et rafraîchissante à la fois qui est le fonctionnement basé sur la volonté, la bonne volonté si possible. Même si la bonne volonté a ses limites de même que l'anarchie, quand le nombre des bonnes volontés augmente trop. Il arrive alors un point critique où la bonne volonté doit composer avec un semblant d'orgnisation, voire de structuration.

C'est ce qu'il est en train de se passer à bE (blueEnergy), et c'est la raison pour laquelle mon poste a été redéfini in-extremis, pour tenter de recentrer toutes ces bonnes volontés. Et à peine ai-je eu le temps de savourer cette bouffée d'air frais qu'est la libre prise d'initiative, que je dois commencer à y mettre fin en partie, ou du moins à l'encadrer. Mais il est vrai que parfois, la bonne volonté est très proche de la naïveté. Exemples. On rédige de beaux manuels pour que les gens des communautés sachent gérer les éoliennes eux-mêmes mais ces gens ne savent pas lire ... Qu'à celà ne tienne, on n'a qu'à leur apprendre à lire en même temps que l'on leur apprend comment faire fonctionner l'éolienne !

Un autre exemple, imaginez une jeune fille occidentale charmante qui vient passer quelques mois dans une communauté isolée de tout. Au boût d'une semaine elle est amoureuse du lieu et de ses paysages, de la simplicité de la vie dans ces lieux préservés. Au boût d'un mois elle est vraiment amoureuse cette fois, d'un garçon qui a son âge et avec qui elle s'imagine élever quelques poules dont elle troquera les oeufs contre quelques haricots rouges et du riz. Et évidemment, elle imagine que ce garçon a le même rêve et la même vision simple de la vie et de l'amour. D'ailleurs, ici ce ne sont pas les mots d'amour qui manquent !

Seulement voilà, derrière la beauté des choses simples se cache aussi la dureté de la vie. J'ai eu le "privilège" d'être invité dans une de ces maisons rustiques à Bluefields, de très belles cabannes en bois généralement, d'où sort une agréable odeur de feu de bois. Quand on rentre à l'intérieur, la surprise est de ne pas avoir de surprise. Il n'y a que ce que l'on y voit depuis la porte toujours ouverte: à peu près rien. Généralement pas de table, juste une chaise ou deux et un vieux matelas au milieu. Pas d'électricité donc pas de lumière après 18 heures, pas de ventilateur non plus pour se protéger des moustiques qui adorent aussi cette ambiance chaleureuse, et la fumée du feu de bois qui pique les yeux par faute d'aération. L'austérité et le dénuement parce que l'on a pas d'argent pour acheter quoi que ce soit. Même si austérité ne veut pas dire tristesse ! En Amérique latine et dans les Caraïbes on vit et fait l'amour en riant, comme disait le poète.

Plusieurs volontaires m'ont raconté que des filles qu'ils avaient connues et fréquentées ici leur avaient demandé de leur faire un enfant au boût de quelques rendez-vous. Pas comme un engagement pour les retenir, juste en souvenir. Et si l'enfant a les yeux clairs alors ce sera un beau souvenir. Tant pis d'ailleurs si le géniteur disparait avant même que la fille ne sache qu'elle est enceinte, de toutes façons ce sera sa mère qui s'occupera comme elle peut du futur bébé. Comme elle le ferait avec un canari qu'on lui offrirait, par traddition. Et ici les tradditions ont valeur de loi. Les projets sont un luxe des pays riches, le salaire dépasse ici rarement les 100 euros et une fois le logement payé, il ne reste pas vraiment de quoi vivre dignement. Alors l'Amour, celà ne fait pas vraiment partie des préoccupations. Bluefields et ma participation au projet de bE est la suite logique de mon voyage, je l'avais déjà dit auparavant. Pour voir de plus près la double face de la réalité en ce qu'elle a de beau et de laid à la fois.

Et de même qu'il n'y a pas de futur sans racines, il n'y a pas de développement sans compréhension de ce qu'est vraiment le développement pour les gens que l'on prétend aider. Les premiers jours où je suis arrivé ici, j'ai eu une courte discussion avec le responsable qui me disait que l'on ne peut aider les gens que s'ils ont un problème. Et le fait d'apporter l'électricité dans une communauté qui ne l'a jamais eu n'a de sens que si celà leur apporte quelques chose personnellement. Sinon on ne fait que créer un besoin et donc un problème de plus au lieu de les aider. En observant l'expérience de bE ici, on se rend compte aussi que pour que les gens s'impliquent dans le projet - condition sine qua none à sa réussite - la seule solution est qu'ils en tirent un profit direct, c'est-à-dire de l'argent.

Un exemple concret: on construit une éolienne qui fournit 1000 Watts, suffisament pour alimenter une chambre froide quelques heures par jour et assurer une chaine du froid au poisson que l'on pêche sur la côte. Cette chambre froide permet de créer une petite coopérative de pêcheurs qui pourront vendre leur poisson dans les autres communautés. Et avec l'argent de la pêche ils peuvent payer la maintenance de l'éolienne (changement des batteries) et un salaire à l'opérateur qui s'occupe de la maintenance. On a ainsi généré de l'emploi, pour les pêcheurs qui peuvent à présent vendre leur poisson à des marchés auxquels ils n'avaient pas accès, et pour un opérateur qui gère le bon fonctionnement de l'éolienne.

Sinon, si l'on se limite à installer une éolienne et à former une personne à la maintenance, celle-ci ne le fera pas bien car elle n'en tire rien personnellement, l'éolienne va se dégrader plus vite et quand il faudra changer des pièces, personne n'aura d'argent à mettre dedans. Comme dans beaucoup de projets similaires, c'est alors l'ONG qui fait survivre l'installation qui est vouée à disparaitre à terme, une fois que l'ONG arrêtera le projet ou l'injection d'argent.

Mettre en place des projets adaptés aux contexte particulier des communautés demande beaucoup d'efforts, d'argent dépensé dans des voyages sur place, de communication. C'est pourtant le prix à payer pour que le projet se pérennise et devienne viable. C'est aussi le prix à payer pour que la coopération soit un succès et que le projet apporte un vrai développement durable. Celà veut dire saisir les enjeux techniques et humains, et avoir la capacité d'affronter toutes les difficultés liées à la particularité de chaque nouveau projet d'installation.

Derrière celà, il y a un besoin énorme d'argent pour mener à bien la mission jusqu'au boût. C'est aussi un des atouts de bE qui malgré sa patite taille, a une antenne aux Etats-Unis et une en France. Et si j'en parle ici, c'est parce que je viens d'être chargé de coordoner les collectes de fonds et la synchronisation entre le bureau des Etats-Unis, de la France et les besoins ici en temps réel. Améliorer la coordination et la communication pour que le projet reçoive le flux d'aide dont il est dépendant au bon moment.

Le financement du projet passe aussi par se faire connaitre et par les contacts. J'avais mentionné Hugh Pigott, le guru des éoliennes de fabrication artisanale à travers le monde. Il sera parmi nous dans 3 semaines et sera au centre de conférences organisées par bE sur les énergies renouvelables, avec comme invités des gens d'autres universités nicaraguayennes et nord-américaines. Autrement dit, pas mal de travail de coordination pour ma part en perspective avec - cerise sur le gâteau - la responsabilité des relations avec les médias qui doivent couvrir l'évênement. Non, correction, la cerise sur le gâteau sera la grosse fête qui va accompagner l'évênement et marquera en même temps le cinquième anniversaire de bE.

BlueEnergy est la seule ONG au Nicaragua qui fasse du développement. D'autres ONG travaillent à l'aide au développement, mais bE est la seule à faire du développement technologique et stratégique. C'est-à-dire développer des technologies existantes pour les adapter aux besoins locaux, en même temps qu'elle développe une approche qui soit adaptée au contexte local. Et c'est là toute l'originalité de bE, d'avoir comme objectif un modèle de développement local qui à terme soit viable et durable. Le projet à Bluefields est un projet pilote qui s'il marche, sera ensuite exporté à d'autres régions comme l'Afrique.

Cette semaine le fondateur de l'ONG était avec nous et les prochaines semaines vont être très chargées. En même temps, le Nicaragua est dans une phase assez incertaine avec beaucoup de tensions politiques, ce qui a des conséquences sur les ONG opérant dans le pays. C'est aussi pourquoi bE redouble d'efforts pour préserver ce qu'elle a construit, en partenariat avec les gens d'ici et les différentes institutions. Celà demande maturité et connaissance du pays, en même temps qu'une confiance réciproque basée sur ce qui a déjà été fait et l'opinion positive des gens d'ici.