Cette phrase m'est revenue en tête alors que je lisais un livre dont le titre est celui de cet article, et qui signifie "la pierre de patience". Il s'agît d'une légende musulmane selon laquelle il existe une pierre qui absorbe toutes les souffrances, et que le jour où cette pierre éclatera, ceux qui lui auront transmis leur souffrance en seront alors défnitivement libérés.
Plus rares sont les histoires qui finissent bien dans les endroits comme le Nicaragua, et immense est le besoin de se confier des gens, car ici se confier équivaut à se mettre en danger. Mais avoir une amitié ou une histoire plus intime avec une personne d'ici c'est ouvrir la porte à un type de relations que relativement peu de personnes ne souhaitent vraiment assumer. Peut-être certaines histoires sont-elles plus faciles à entendre lorsque l'on se trouve dans un monde qui n'est pas le sien, mais parfois une certaine appréhension à écouter une histoire nouvelle s'installe, une crainte de ce que l'on va entendre. On prête une oreille parfois fébrile comme l'on prêterait un mouchoir, pour écouter l'Histoire d'un pays où l'on ne meurt pas de faim mais de désespoir.
Apprendre à écouter c'est une bonne chose vous me direz, mais parfois trop c'est trop. On absorbe comme la pierre tant que l'on peut, on aide où on peut, on comble temporairement ce besoin d'une oreille à qui se confier, comme une pinoche pour boucher une voie d'eau en attendant une acalmie. Mais celà fatigue moralement, et il est dur de rester indifférent à ce monde impitoyable aux airs extérieurs de paradis. C'est alors le moment de se poser la question de pourquoi on est venu, et de ce que l'on souhaiterait laisser derrière soi.
En attendant j'ai l'impression d'avoir vieilli de 10 ans depuis que je suis arrivé, et ai entendu plus de drames durant ces 2 années que durant tout le reste de ma vie. J'aurai pinoché du mieux que je pouvais la coque en papier maché d'un bateau qui n'a pour boussole que l'espoir dérisoire d'un peuple qui a conquis sa liberté pour rien. Et au boût du compte je commence à me demander si ce n'est pas moi qui prends l'eau, c'est pourquoi il est temps de mettre les voiles avant d'éclater. La décision est donc prise, et le cap amarré au nord-est pour un retour à ma vie d'avant, le monde réel, peut-être.
Au final je n'aurai raconté dans ce blog que la réalité crue sans m'inventer de personnage, même si celle-ci n'est parfois pas loin de ressembler à une histoire de fiction, et maintenant ce sont des images qui me reviennent. A Barcelone d'abord, avant que je ne commence ce blog. Dans les ruelles du quartier gothique, aux prises avec des revendeurs de haschish qui me prenaient pour un policier en civil, à quelques pas de la Plaza Real où vivait le célèbre détective Pepe Carvalho. Sur la côte Atlantique Nord du Nicaragua ensuite, la marche de nuit sur la plage après un naufrage contrôlé, à la recherche d'une communauté Miskita parmi celles qui sont depuis quelques années aux mains des trafiquants Colombiens. C'était juste quelques jours après le crash d'un avion plein de cocaïne qui avait engendré une guerre entre les soldats de la marine et les paysans locaux. Ou encore sur les pas de l'ex-combattant de la Contra El Coyote, qui vit reclu dans la jungle de la réserve Cerro Silva, et où les métisses n'osent pas s'aventurer en raison des rumeurs sur les stocks d'armes datant de la guerre qui s'y trouveraient encore, et dont El Coyote se servirait pour chasser les intrus et éloigner les curieux. Ou encore les voyages en pirogue au fil de l'eau à travers le territoire indien Rama, les après-midis passées sur l'île de Rama Cay à regarder les matchs de base-ball féminin, assis sur le môle qui protège le parc à huitres avec une bouteille de Chicha Bruja. Enfin les ballades le long des plages de sable tantôt blanc et tantôt volcanique entre Monkey Point, point de départ du futur canal sec qui devrait un jour rivaliser avec celui de Panama, et la communauté paisible de Bangkukuk, loin très loin du tumulte des urbanisations.