8.10.09

Marcher sur ses propres pas pour ne pas se perdre


Il n'y a rien qui ressemble plus à un mois d'octobre qu'un mois d'octobre. Liège, Paris, Bluefields, il pleut, quelques coups de vent violents, une ambiance de fin de fête. A Bluefields c'est facile à s'y faire puisque rien ne change de toutes façons, et cette deuxième année ressemble à s'y méprendre à la première, si ce n'est quelques changements notables dans mon entourage. Et pour ce qui est des fêtes, la photo ci-dessus montre le carnaval de San Jeronimo qui s'est invité à la maison, le temps de quelques danses avec des diables déguisés en animaux (je décrivais une fête similaire à Panama dans un article antérieur) plus d'autres personnages bien nicaraguayens eux (originaires de Masaya).

Une chose m'est pourtant claire à présent. A Bluefields les plus jeunes volontaires ont tendance à prendre un coup de vieux, alors que les plus vieux ont plutôt tendance à prendre un coup de jeune. Et pour une fois je suis content de ne pas faire partie des plus jeunes ! Eux découvrent la pauvreté, pendant que les "vieux" découvrent l'énergie contagieuse de ce pays riche en couleurs. Et on peut se rendre compte que d'une certaine façon plus la vie est dure et plus les gens s'efforcent de la rendre acceptable. C'est peut-être pour celà qu'en Europe on ne fait pas grands efforts et que la vie ressemble parfois à une longue sieste si l'on compare à celle d'ici. En tous cas, si l'on suit cette logique de qui est vieux rajeunit et qui est jeune vieillit, on arrive alors sur la durée à un effet ressort qui lui est bien réel. Pendant quelques mois on se gave de cette énergie de vie, et les mois suivants on se retrouve écrasé par la réalité (et le climat).

Et le fait de vivre en quasi-autarcie dans une communauté semi-recluse et multi-culturelle n'aide pas toujours. Parfois on s'y sent bien, comme dans un cocon confortable, et parfois on s'y sent d'autant plus seul qu'on est entouré. Alors on sort à la recherche de cette énergie qui n'existe que chez les gens d'ici. On vagabonde en ville comme des émigrés. Pas des touristes ni des immigrés, car les touristes peuvent changer d'endroit à leur convenance, et leur réalité quotidienne n'est qu'éphémère. Les immigrés sont quant à eux d'une certaine façon déjà arrivés au bout de leur voyage. Les émigrés en revanche ne sont pas tout à fait arrivés car ils ne resteront qu'un temps, et pourtant ils doivent composer avec la réalité de l'endroit où ils se trouvent. Peut-être que je devrais dire voyageur au lieu d'émigré, je ne sais plus trop. Après 7 années passées hors de son pays d'origine dans différents endroits, est-on encore un voyageur ou est-on devenu un émigré ?

Une chose est sûre, si le voyageur voyage pour changer d'idées, celà veut dire aussi qu'il voyage pour apprendre et avancer. Et quand c'est un projet qui avance c'est encore mieux car c'est toute une équipe qui apprend et une communauté qui avance. Jusqu'à présent j'ai parlé du développement comme d'un outil pour survenir aux besoins fondamentaux de communautés et personnes marginalisées. A commencer par la santé et l'éducation. Et dans les régions isolées comme ici, quoi de mieux qu'une solution locale fabriquée avec des moyens locaux ? Comme sources d'énergie, rien de mieux que le vent et le soleil qui baignent la côte (il existe ici une jolie expression qui se traduit en français par "soleil de pluie", elle désigne la chaleur après une grosse averse). Et pour l'eau potable, des filtres fabriqués directement dans les communautés avec des matériaux que l'on trouve sur les plages alentours.

Mais les technologies liées aux énergies renouvelables sont chères et complexes. Et même en Europe, elles ne se développent que grâce aux subventions de l'état car sinon elles ne seraient pas rentables. Dans tous les cas, ce sont les seules sources d'énergies disponibles sur la côte Atlantique du Nicaragua, mais rendre un projet durable et viable ici recquiert du coup un peu plus de fonds que ceux que peut générer une utilisation de l'énergie domestique. Et comment générer plus de fonds ? Par une micro-entreprise par exemple, une association de personnes ayant un intérêt commun et l'accès à cette énergie.

Un exemple concret, notre installation de deux éoliennes dans la communauté Kahkabila a permis de génerer quelques fonds à travers la recharge de téléphone portables, en plus d'apporter de l'énergie à l'école et au centre de santé. Mais pas encore suffisamment pour couvrir les frais d'entretien à long terme des éoliennes. Un projet similaire en cours dans la communauté de Monkey Point a permis aussi d'apporter de l'énergie à l'école et alimenter une radio qui leur permet de communiquer avec Bluefields. A présent une idée en cours est de les aider à monter une coopérative de pêche qui avec l'énergie produite permettra de garder le poisson pêché au frais. Celà combiné avec la radio permettra à la communauté de vendre son poisson à Bluefields qui dispose d'une usine de traitement pour l'exporter ensuite vers d'autres pays. Celà devrait permettre de générer des fonds relativement importants à l'échelle de la communauté telle qu'elle est maintenant. Ce projet est celui qui va occuper la plupart de mon temps en cette fin d'année et probablement une bonne partie de l'année prochaine.

Car l'idée paraît simple, mais une telle coopérative demande une structure organisationelle que la communauté commence seulement à avoir après plusieurs années de lentes avancées incertaines du projet, pas à pas. Et après avoir cette année réussi avec succès l'installation d'un centre de charge de batteries et de systèmes de lampes à LED par maison, la communauté semble prête - ou pas loin de l'être - pour cette étape suivante qui si elle marche sera un pas supplémentaire fondamental vers le développement de la communauté. Reste à définir les détails pour que la coopéraive bénéficie à toute la communauté et non pas à un nombre limité de personnes, ce qui n'est pas le plus simple ! Sans parler de la définition de la solution technique qui implique de connaitre le marché local de la pêche. Un des nouveaux volontaires a de l'expérience pour avoir travaillé sur des navires de pêche dans le détroit de Béring (au large de l'Alaska), mais après avoir discuté avec les techniciens de l'usine de traitement de poisson et quelques pêcheurs, il en est arrivé à la conclusion qu'ici c'est un autre monde. Il n'y a pas de doutes là dessus !

Pour terminer cet article une grande nouvelle ! Ça y est je suis enfin l'heureux co-propriétaire d'un Cayuco (pirogue taillée dans un tronc unique) flambant neuf (à une ou deux voies d'eau près) ! Sa capacité est de 3 places, et très bientôt il sera dôté d'une belle voile en plastique poubelle. Pardon ... rectification, après une première sortie qui s'est terminée au fond de la baie, la capacité du cayuco est plutôt de 2 personnes. Heureusement l'équipage se porte bien, l'échouage ayant eu lieu à une dizaine de mètres de l'un des bars sur l'eau que compte Bluefields. Et les billets étant ici étanches, on a même pu se payer une bière pour se remettre de l'émotion, dégoulinants de l'eau noire de la belle baie de Bluefields et sous les regards narquois des pêcheurs locaux qui décidément n'en finissent pas de se demander ce qui ne tourne pas rond chez ces gringos ...

En attendant je laisse quelques photos d'un barbecue organisé derrière ma petite maison (celle que je partage avec 2 autres volontaires). Ce n'est pas nous qui avons pêché les poissons comme vous l'aurez compris, mais Allen notre Chef cuisinier de Monkey Point m'a confié avoir déjà pêché certains de ces poissons appelés Pargo rojo (Un peu comme des mérous mais d'une très belle couleur rouge) pesant jusqu'à 75 kg ...


Pour la cuisson, on recouvre le barbecue de fuilles de bananier pour garder la chaleur.