8.11.09

We soon reach !

Une fois n’est pas coutume mais cet article va commencer par un poème d’inspiration biblique. «Je ne t’ai donné ni visage, ni place qui te soit propre, ni aucun don qui te soit particulier, ô Adam, afin que ton visage, ta place et tes dons, tu les veuilles, les conquières et les possèdes par toi-même. Je t’ai placé au milieu du monde afin que tu puisses mieux contempler ce qu’il contient. Je ne t’ai fait ni céleste, ni terrestre, mortel ou immortel, afin que toi-même, librement, à la façon d’un bon peintre ou d’un sculpteur habile, tu achèves ta propre forme».

Cette petite partie de nous qui n’est pas prédéfinie, cette porte de sortie au destin, cette page que l’on écrit tous ensemble, n’est-ce pas cela que l’on appelle créer l’humanité et le monde ? Cela ferait sourire ceux qui me connaissent si je leur disais où j’ai lu ce poème. Peu importe en fait, mais il y a une phrase qui m’a beaucoup plu. Evitant toute forme de mysticisme qui aurait pu paraitre douteuse de la part de l’auteur, il écrit que chacun de nous est venu au monde pour écrire sa propre page, et qu’à travers cette page se crée le monde. Rien de bien novateur vous me direz ? Cela dépend de la façon dont on le lit. Pour moi si en tous cas, et j’ajouterai pour compléter le postulat de l’auteur que chacun de nous pour remplir sa page blanche utilise une plume qui lui est propre et que j’ai décidé d’appeler le libre arbitre. Et sans pousser plus loin jusqu’à dire que l’encre est la sueur des hommes («le meilleur engrais pour fertiliser le monde»), parfois le sang, ce qui me plait dans cette métaphore est la définition de la vie comme un acte de création. Rien de mystique là-dedans, une création consciente avec des idées, des larmes et de la sueur.

C’est aussi une vision qu’affectionnent les voyageurs, notamment à travers l’adage de Saint Augustin qui dit que le monde est un livre, et que celui qui ne voyage pas n’en connaitra qu’une seule page. Et puis, voyager c’est ni plus ni moins que rencontrer des gens, peu importe la distance ou les paysages. A cela près que les gens modèlent les paysages à leur image. Juste au milieu entre les lieux et les gens se trouvent aussi les noms des lieux, souvent habités et renommés par de successives civilisations au cours de l’Histoire. Juste pour le plaisir de partager la musicalité de quelques uns des noms que l’on trouve sur la Côte Atlantique du Nicaragua, si vous voyagez au sud de Bluefields, du côté du territoire Rama, vous traverserez les communautés de Tiktik Kaanu, Sumu Kaat, Bangkukuk. Au nord de Bluefields les communautés Créoles et Miskitas de Karawala, Wawashang, Orinoco, Tasbapauni, Awas. Les Ramas sont assez petits et trapus, avec des mains et pieds démesurés, parfaitement adaptés aux longues heures à pagayer et aux longues marches à travers la forêt. Les Créoles et Garifunas, héritiers d’anciens peuples d’Afrique, grands et minces, vivent plus ou moins de la même manière que leurs frères Africains. Les femmes notamment jouent un rôle essentiel dans ces communautés.

L’héritage génétique et culturel n’est pas un vain mot, et c’est pourquoi se comprendre ici n’est généralement pas une mince affaire. Les gens comprennent ce que l’on dit, mais ici les choses ne se font pas de la même manière qu’en occident, c’est comme ça et cela ne sert à rien de lutter contre. Et puis l’Histoire n’a pas traité les gens de la même façon ici qu’en Europe. Ici on se bat en permanence pour préserver le peu qu’on a réussi à arracher au sort, et cela ça reste dans le tempérament des gens. Les Nicaraguayens sont des poètes, des gens profondément pacifiques. Qu’ils soient métisses, Créoles ou indigènes, très rares sont les accrochages graves, et si l’on en vient parfois aux poings, c’est généralement plus par amour de la boxe qui est l’un des sports nationaux (ou du Rhum) que par agressivité. A part s’il s’agît d’infidélité, car dans ce cas l’instinct de préserver ce que l’on a conquis reprend le dessus.

Et nous – pauvres gringos émouvants de naïveté et perdus dans ce monde étranger – en quoi est-ce que l’on participe à la création du monde en ces lieux un peu abandonnés des dieux ? L’une des particularités de blueEnergy est qu’elle se pose la question en même temps qu’elle agît, en se disant que si l’on ne fait rien on ne saura jamais ce que l’on fait mal et n’appendrons jamais comment mieux faire. El camino se hace caminando, alors on commence à créer un chemin et au fur à mesure que le chemin avance on peut commencer à regarder en arrière et évaluer si ce chenin mène quelques part ou non, rectifier quand il le faut. Pas toujours facile, c’est un peu comme essayer sur un bateau d’aligner deux amers (repères terrestres) par l’arrière pour trouver son cap et ensuite le garder. Pas facile mais ça marche quand même.

Un nouveau concept est apparu récemment au sein de l’organisation, dans cette dynamique d’avancer sans autre boussole que la trace du chemin parcouru: Catalysateur. Pour rendre une pâle de turbine aussi rigide que du carbone, on la colle avec de la résine Epoxy et un catalysateur qui la rend dure comme de l’acier (ou presque). Pour le développement c’est un peu pareil. Toute seule, la plus efficace des organisations n’atteindra que des objectifs à l’intérieur de ses propres limites. Mais si elle est le catalysateur qui réussit à réunir les différents acteurs du développement, alors son action peut atteindre des objectifs bien plus ambitieux. Car après tout, on n’est pas l’état, mais si on parvient à avoir les liens et un CV suffisamment convaincants pour que l’état accepte de venir prendre des idées, alors on n’aura pas changé le monde mais au moins marqué un jalon important sur la voie du développement à laquelle nous et pas mal d'autres organisations croyons.

Cela parait un peu prétentieux certes, mais figurez vous qu’un consortium pour le développement des Energies Renouvelables est en train de voir le jour au Nicaragua. Il discutera un jour (si Dieu le veut) directement avec l’état sur la stratégie à adapter pour que le pays rattrape son retard en matière d’énergie tout en préservant son environnement. Et au sein de ce consortium on trouve trois ONGs de petite taille, deux évoluant dans l’intérieur du pays (AsoFenix et ATDER-BL) et la 3ème sur la Côte Atlantique, blueEnergy. Comme quoi, des petites organisations ensemble peuvent devenir grandes, et peut-être un jour verront-elles le chemin qu’elles ont commencé à tracer localement s’étendre au niveau national.

De toutes manières - comme j'aime à le rappeler souvent - au final peut importe la destination, ce qui importe avant tout c'est le chemin parcouru et ce que l’on a appris en chemin. En ce sens, chacune de ces ONG ne reniera pas sa devise de développement local avec des moyens et technologies appropriées au contexte local de chaque projet, mais si on trouve ensemble un chemin qui mène à un développement durable et qui fonctionne dans les endroits les plus difficiles du pays, ce chemin devrait alors être en bonne partie répliquable dans d’autres régions du pays.

We soon reach ("On arrive bientôt" en Créole) ! Pour terminer, ce qui est déjà arrivé c'est l'ouragan Ida, passé tout près de Bluefields, et qui a laissé sa trace indélébile dans certaines des communautés au nord de Bluefields mentionées plus tôt. Karawala est détruite à 80%. C'est aussi çà les Caraïbes. Et ici à Bluefields on ne le sait que trop bien, la ville ayant été complètement rasée par l'ouragan Joan en 1988. Heureusement, cette fois-ci c'est passé tout près mais pas de dégâts dans Bluefields.