14.3.10

Yacht Design: Partie 1 - Théorie

Chose promise chose dûe, mais avant toute chose, petit cours théorique de navigation en pirogue. Notre Cayuco (Dori en créole) est une pirogue creusée dans un même tronc d'arbre d'une longueur d'un peux moins de 20 pieds, c'est-à-dire environ 5m90. L'avant et l'arrière sont fins pour bien pénétrer dans l'eau avec un minimum de frottement, la partie centrale retrouvant celle assez simple d'un tronc, même si un peu applati dans le fond.

Pas de quille ni de dérive, son franc-bord (hauteur au-dessus de l'eau) est d'à peine 10 cm, et une stabilité proche de zéro. Le mât et la bôme consistent en deux boûts de bois léger d'un peu moins de 4 mètres chacun, et la voile un grand plastique noir épais maintenu sur le mât et la bôme par du fil de pêche.

Pas de safran ni de gouvernail, pour diriger le cayuco la personne à l'arrière utilise une pagaie plaquée contre la coque sous le vent (de l'autre côté de celui d'où vient le vent). Une première difficulté est de bien orienter la pagaie - d'une main - oblique, et suffisamment profond pour pouvoir jouer un rôle entre celui de safran et de dérive à la fois.

Pour ce qui est du grément, le mât est fixé au cayuco sur l'avant, passant à travers un trou dans une traverse, et une base qui maintient le mât en place. Une écoute pour la voile est reprise sur une sorte de barre d'écoute (voir un peu plus loin) située à l'arrière. Et enfin une sorte de bastaque - qu'on appelle ici Miqueador - sert à équilibrer le cayuco. La personne à l'avant assise juste derrière le mât tient ce boot d'une main et si nécessaire s'assied sur le rebord du cayuco du côté d'où vient le vent pour contrebalancer le poids du grément et la force du vent qui tend comme sur n'importe quel voilier à donner de la gîte au bateau (inclinaison latérale). Ici, la difficulté résulte du fait de l'absence d'appendice sous la coque qui jouerait le rôle d'anti-dérive, et aussi de l'extrême étroitesse de la pirogue (50 cm max).

La personne à l'avant a le rôle d'équilibrer le bateau, en jouant avec son poids, et en s'aidant du Miqueador qui est fixé à la partie haute du mât. A l'extrême, par vent important il peut se retrouver à faire du rappel comme sur un catamaran, avec toutefois la stabilité latérale d'un catamaran en moins. La personne à l'arrière a le double rôle de barrer avec une pagaie, et de gérer l'écoute de la voile. Cette écoute vient sur une espèce de barre d'ecoute, qui ici consiste simplement en une corde traversant le cayuco (derrière le barreur) fixée de chaque côté. L'écoute est fixée sur cette corde par un noeud qui lui permet de coulisser et passer d'un côté à l'autre du cayuco, en fonction de l'amûre (côté duquel vient le vent).

Contrairement à ce que l'on pourrait penser, on peut virer de bord avec ce type de pirogue, même si ce n'est pas très facile. Virer de bord c'est changer d'amûre en passant fasse au vent. Le barreur pousse sur sa pagaie comme il le ferait sur un gouvernail pour remonter face au vent. Une fois le vent de face, la voile n'a alors plus d'effet et fasseye. Le barreur n'est alors plus barreur mais pagaye cette fois réellement pour faire virer le cayuco et faire passer la voile et le vent de l'autre côté. Une fois réussi (ce n'est pas franchement facile de faire virer une pirogue de presque 6 mètres avec du poids à l'avant et une seule pagaie à l'arrière), la voile reprend le vent normalement et chaque équipier son rôle normal.

Pour être complet, je n'ai pas vu de cayuco empanner, c'est-à-dire virer avec le vent par l'arrière, sans doute car le peu de stabilité incite à éviter tout à-coup, ce qui n'est pas simple lors d'un empannage. En fait, ce qu'ils font est de faire passer la bôme par l'avant du mât, ce qui n'est bien sûr pas possible sur un voilier moderne, mais qui ici se fait sans encombres et en douceur.

Bon, tout çà c'est la théorie. Et çà devient clair - de même que les linitations de l'équipage - une fois que l'on met le cayuco à l'eau et que l'on commence à mettre la théorie en pratique. Disons que pour l'instant on s'entraine où il n'y a pas trop de fond, et où il est possible de monter dedans facilement. L'exercice ressemble pas mal à celui de faire ses premiers bord en planche à voile. Peu d'équilibre ni de place, et le vent qui tend à pousser le mât à l'eau avant que vous n'ayez réussi à le mettre en place. Sauf que dans ce cas, le mât est fixé au cayuco, et si le mât penche trop d'un côté c'est le cayuco entier qui chavire.

Pour terminer, et pour ne pas laisser la fausse impression que tout celà n'est finalement pas si compliqué, plusieurs pêcheurs professionels nous ont soufflé que tous les pêcheurs avec un petit cayuco comme celui-ci passent eux aussi régulièrement à l'eau. Donc pas de complexes à avoir, et ici tout le monde est toujours prêt à donner un coup de main et quelques précieux conseil. Alors en avant et ... à l'eau !

En même temps, nous avons commencé à réfléchir sur de possibles améliorations. Un pêcheur Rama qui nous a donné un coup de main pour nos premiers bords nous a confié que notre cayuco est dessiné pour aller très vite, peut-être même un peu trop pour un autre usage autre que celui de se faire simplement plaisir. C'est un peu ce qu'il se passe si vous achetez une planche à voile de compétitition. Vous en êtes très fier quand vous venez de l'acheter, mais déchantez quand vous vous rendez compte que quand vous montez dessus elle coule aussitôt et nécessite un niveau technique bien supérieur à une planche normale.

Donc, après quelques chavirages et réflexions sur le problème on en est venus à étudier une solution pour le rendre à la fois plus stable (moins sauvage, ou moins jaloux comme ils disent ici) et encore plus rapide. Celà a été l'occasion de discussions et joutes techniques entre l'équipe actuelle (le cayuco a été acheté par 3 volontaires, dont moi) et quelques locaux dignes de l'America's Cup. Ci-dessous deux possibles designs à l'étude. Au final, mes essais incertains avec Westlawn n'auront peut-être pas été complètement vains ... Pour info, j'ajoute aussi quelques uns des calculs, très approximatifs mais pour donner une idée du dimensionnement du flotteur latéral. Bien sûr toute suggestion et apport technique est le bienvenu !!

Evidemment on pourrait envisager une dérive, mais fabriquer un puit de dérive n'est pas simple, et le cayuco a déjà peu d'espace. Et puis dans la baie de Bluefields la profondeur n'excède parfois pas 30 cm, ce qui obligerait à avoir un design spécial pour que la dérive puisse remonter sans dommages en cas de choc avec l'un des objets hétéroclites qui peuplent le fond de la baie. Il est donc plus vraisemblable que l'on essaye d'optimiser l'utilisation de pagaies pour compenser l'effet de dérive. Une difficulté toutefois avec l'utilisation d'une pagaie comme dérive est la nécessité de l'utiliser et donc de se placer sous le vent, où celui-ci la plaque contre la coque, alors que la contre-gîte nécessite de se placer de l'autre côté. Et la répartition des poids est la chose primordiale à doser ici, comme sur un dériveur léger.

Les photos et vidéos arrivent ! A l'heure où je termine d'écrire cet article, je rentre juste d'une petite semaine de navigation dans la baie de Bluefields et les vidéos sont déjà au montage. La deuxième partie de cet article devrait donc être prête d'ici une semaine, et sera en espagnol. La plupart des vidéos seront elles en anglais, ou en Créole-Rama puisqu'elles ont été réalisées autour de l'île de Rama Cay, où vivent la plupart des Ramas. Un voyage extraordinaire, mais je n'en dis pas plus avant de dévoiler les images...