30.6.09

Les veines ouvertes de l'Amérique

Comme je le disais dans un article précédent, la réalité dépasse parfois la fiction en Amérique Centrale. Et quand je suis venu ici, j'étais loin de me douter que je vivrais de près un épisode historique plus propre des années 80 que du 21ème siècle.

Le week-end dernier l'armée hondurienne a pris le pouvoir en occupant le palace présidentiel, et expédié le président élu démocratiquement du Honduras Manuel Zelaya vers le Costa Rica. Les militaires honduriens auteurs du coup d'état sont les héritiers des Escadrons de la Mort, millices militaires au service des dictateurs mis en place par les Etats-Unis à travers l'Ecole des Amériques qui est toujours en place. Dans cette école ont été formés nombre de dictateurs depuis sa mise en place. Pour plus d'informations sur cet évènement, cliquer sur le lien de cet article.



Haz click en cualquier video para verlo
Puedes ver otros en radiomundial.com.ve


La frontière avec le Honduras semble à présent réouverte et c'est tant mieux car on a un volontaire parti en vacances au Guatemala qui doit traverser le Honduras pour pouvoir rentrer. Un ami médecin d'ici est quant à lui parti en bus pour essayer de rejoindre le Honduras et apporter son soutien au gens qui luttent. Il faut dire qu'ici cette histoire réveille de bien mauvais souvenirs. Le Honduras est le pays d'où étaient lancées les attaques de la contra contre le jeune gouvernement sandiniste dans les années 80.

Politiquement parlant, le Honduras est l'un des pires modèles de tout le continent. Heureusement, aujourd'hui un tel régime illégitime est isolé et a peu de chances de prospérer. Le Honduras fait partie de la zone de libre échange d'Amérique Centrale (Salvador, Nicaragua, Guatemala et Honduras), et a signé des traités plutôt contradictoires avec les Etats-Unis (TLC) et l'Alliance Bolivarienne de Chavez (ALBA). Et ses partenaires commerciales n'ont aucun intérêt à voir des militaires interférer dans leurs affaires. Le nouveau gouvernement illégitime n'a donc aucun appui et ne devrait pas faire bien plus long feu que le coup d'état au Vénézuela perpetré en 2002.

Mais même si ce coup d'état a surpris tout le monde, ce n'est pas une réminiscence isolée des années 80. En 2000, tout le monde se surprenait aussi de voir défiler un groupe de révolutionaires, les Zapatistes à Mexico défier le pouvoir en place. Le coup d'état contre Chavez avait aussi de quoi surprendre. Une chose est certaine, pour l'Amérique Centrale la voie du développement semble bloquée. Une personne me disait que la différence entre les années 80 quand elle était enfant et maintenant est qu'à l'époque les gens se fabriquaient des chaussures avec ce qu'ils trouvaient. Aujourd'hui les enfants ont des chaussures en plastique, mais c'est l'unique différence. Pour le reste, les gens sont au moins aussi pauvres qu'il y a 25 ans. Les prix ont augmenté considérablement mais les salaires eux n'ont pas bougé.

D'ailleurs c'est un problème que l'organisation commence à resentir. Plusieurs personnes viennent de démissioner pour aller travailler à la capitale Managua ou au Costa Rica. Une autre issue est de s'embarquer comme steward sur un navire de croisière. Un an en mer pour un salaire d'environ 1000$ par mois. Ici je discutais hier avec une autre personne du salaire d'une cuisinière. Quand elle m'a demandé combien on les payait dans l'organisation, je lui ai répondu qu'environ 100$ (150$ en réalité). Elle a rigolé, me disant qu'ici une cuisinière ne gagnait pas plus de 40$ par mois. Une location à Bluefields coûte autour de 200$, une famille de quatre dépense plus de 100$ par mois juste en nourriture.

J'ai entendu pas mal d'histoires différentes depuis que je suis arrivé ici. Dans la plupart des cas des familles nombreuses de plus de 10 personnes éclatées. Pas d'homme, la mère et des oncles éparpillés à travers le pays, et d'autres au Costa Rica ou aux Etats-Unis. Parfois au Canada ou au Panama, plus rarement en Europe. Les membres de la famille expatriés envoient de l'argent au pays, les remesas, qui permettent de faire vivre toute la famille à peu près décemment et payer les factures. Heureusement la santé est gratuite, ou presque. L'université aussi, sauf qu'ici un diplôme ne sert pas à grand chose. Mais pour une famille qui ne reçoit rien de l'étranger, les choses sont plus compliquées.

Ce week-end j'ai fait la connaissance d'une fille dont l'histoire est assez édifiante. Mariée - pour ne pas dire vendue - à l'âge de 13 ans à un homme de Managua. D'origine Miskito, elle n'a comme beaucoup de gens sur la côte pas d'acte de naissance, encore moins de papiers d'identité, et donc aucun droit. Pour le mariage, il a suffi de dire qu'elle avait 18 ans au lieu de 13. Son père vit en Colombie du trafique de drogue. Sa mère habite une communauté de la côte où je suis passé récemment, Tasbapauni. Elle ne peut pas rendre visite à sa mère qui ne veut pas la voir. La raison est simple, son compagnon a essayé de la violer la dernière fois qu'elle lui a rendu visite. Elle a une fille de 3 ans qu'elle n'arrive pas à nourrir, n'ayant pas de travail. Elle me disait "moi je peux rester plusieurs jours sans manger, mais pas ma fille". Elle habite un hospedage, un hotel insalubre qu'elle paye cher (6$ par nuit). Alors elle s'est résignée à envoyer sa fille chez sa mère. Elle vient aussi de perdre son deuxième enfant peu après sa naissance il y a 3 mois de celà.

Ce n'est pas la première fois que j'entends une histoire comme celle-ci. Le taux de mortalité infantile est très élevé au Nicaragua, et la pauvreté se développe tout comme la violence, petit à petit. Et malheureusement rien ne semble indiquer un inversement de cette tendance du pays à s'enfoncer toujours plus dans la misère. Le Nicaragua n'est pas le seul pays dans ce cas, le Honduras et le Guatemala suivent le même chemin, invariablement jalonné par la corruption et le trafique de drogue. La route du développement est elle barrée. Et pourtant, ici vous n'entendrez pas parler de suicide, de déprime. Facile à comprendre, quelqu'un ici qui est faible se fait piétiner et a peu de chances de se relever, alors on garde la tête haute et on se bat. Cet ami médecin qui est parti au Honduras avec son sac à dos et sa rage au coeur est la personne que je souhaite à tout le monde de rencontrer un jour. Des personnes qui sont capables de mettre leur rage au profit des autres, pas d'une idée abstraite, juste tendre la main et apporter son aide à qui en a le plus besoin.