26.4.09

Métissages

Retour au rythme normal ou presque. Dix jours de vacances au Panama, et quelques semaines avant celà et après à remplacer le directeur du projet parti en Europe et aux Etats-Unis. Rien de bien grave à signaler si ce n'est le vol du petit coffre fort dans lequel la comptabilité gardait l'argent pour payer les travailleurs locaux. Les vacances sont une période faste pour les cambrioleurs en tous genres, et impossible de laisser une maison vide à cette époque. J'ai dû déjà le dire mais l'ONG loue trois petites maisons en plus de la maison principale, et moi je vis dans l'une de celles-ci. Bien agréable, une petite cuisine, une grande table pour travailler et ma chambre à moi depuis un mois. Et heureusement, pas de vol majeur à signaler dans celles-ci durant mon absence.

Le seul désagrément vient du fait que l'eau provient directement du puit et n'est pas de grande qualité. Pour la boire on utilise simplement l'un des filtres à sable volcanique que l'ONG fabrique ici, et qui marchent très bien. Mais on se trouve à présent à la fin de la saison sèche et le puit comme beaucoup d'autres à Bluefields commence à s'assècher. Heureusement, cette année les pluies ont continué au delà du débût de la saison sèche, et viennent juste de réapparaitre alors que le puit venait de livrer ses derniers litres d'or bleu. La maison principale n'a pas ce désagrément car elle utilise l'eau de pluie en plus de celle d'un puit, et depuis peux a été raccordée au réseau. Enfin, pour être exact il convient de dire que depuis un mois que la connection a été faite, ce qui est sorti du soit disant réseau est un filet d'eau malodorant qui ne dure pas plus de quelques heures par jour de toutes façons.

Mais qui dit saison humide dit aussi fin des promenades dans la forêt. C'est pourquoi je vais essayer en ce débût mai d'organiser une rando avec quelques autres volontaires entre deux communautés Rama et Créoles dans lesquelles nous avons un projet: Monkey Point et Bangkukuk. Situées sur une très belle côte parsemée de plages désertes et de forêt dense, elles seront le centre d'une grande agitation ce mois-ci.

Alors que Bluefields se prépare pour un mois de fête (Palo de mayo), on prépare la plus complexe installation réalisée jusqu'à présent. Filtres pour l'eau, panneaux solaires, centre de recharge de batteries domestiques, et kits de lampes à LED de basse consommation avec recharge par énergie solaire pour la plupart des maisons de Monkey Point. D'autres kits mobiles pour Bangkukuk cette fois permettront aux habitants d'aller pêcher ou simplement rejoindre leur maison de nuit, souvent situées loin du centre de la communauté dans la forêt. Deux projets se concentrent en même temps pour pouvoir fournir tout cet équipement qui devrait fournir de la lumière et de l'eau potable à toute la communauté ou presque.

En même temps je travaille sur un autre projet pour la Banque Mondiale sur 2 ans, lequel permettrait de reproduire ce que l'on fait dans ces 2 communautés voisines pour toutes les autres communautés indigènes du territoire Rama. Le territoire Rama couvre une grande partie de ce qui est appellé la RAAS (Région Autonome Atlantique Sud) du Nicaragua, et toutes les terres y figurant appartiennent en théorie aux Rama et Créoles qui y vivent. L'autorité régionale visant à faire respecter ces droits est le Gouvernement Territorial Rama et Kriol (GTR-K), lequel est un important partenaire pour ce projet de la Banque Mondiale, mais aussi pour un autre projet en cours de définition.

Le projet de la Banque Mondiale inclut l'installation de systèmes d'énergie renouvelables ainsi que de systèmes de lampes à LED, et enfin l'analyse de 200 points d'eau pour savoir quelles sources pourraient être utilisées pour le développement de centre éco-touristiques. Et l'autre projet sur lequel je planche maintenant depuis 2 mois est la redéfinition d'un projet existant suite à l'arrivée imprévue du réseau national dans des communautés autour de Pearl Lagoon dans laquelle on devait installer de l'énergie.

Depuis 2 mois j'ai proposé plusieurs alternatives, mais toutes se heurtent à des problèmes tantôt historiques, tantôt politiques, et tantôt sur le type d'impact que l'organisme donateur souhaite. Autrement dit, il s'agît de prendre en compte le contexte historique et politique de la région, en plus d'un facteur d'échelle, ce qui pose nombre de difficultés à différents niveaux. Difficile de tout expliquer en quelques lignes, mais pour résumer il existe un problème avec la frontière agricole qui comme dans d'autres régions comme par exemple l'Amazonie ne cesse d'avancer. Et les exploitations agricoles petit à petit grignotent du terrain sur la forêt, qui dans ce cas sont des terres appartenant aux éthnies indigènes.

Historiquement, la guerre de la révolution puis de la contra ont frêné cette avancée, mais ensuite de nombreux anciens guerrilleros se sont vus offerts des terres dans le territoire Rama par le gouvernement central au nom de la réconciliation nationale. Et petit à petit de nombreuses communautés tenus par des gens venus de la côte Pacfique (appelés Espagnols ou Mestizos) se sont développées, souvent au détriment de communautés existentes indigènes. Et aujourd'hui 80% de la RAAS est peuplée par ces Mestizos. Le GTR-K est un partenaire clé pour nos projets dans la région, et évidemment pour lui les Mestizos sont des colons envahisseurs avec lesquels on ne peut pas travailler. Ce serait en quelques sortes un peu la même chose que de vendre une éolienne à un baron de la drogue. Sauf que celà réduit de 80% le marché potentiel des énergies renouvelables du coup.

Et le nombre de communautés indigènes est au final relativement limité. Une partie d'entre elles se sont par ailleurs vues offert un générateur diesel qui produit beaucoup plus d'énergie que nos systèmes d'énergie renouvelables actuels. L'impact que nous pouvons avoir dans ce cas est la réduction de la consommation de gasoil par l'intégration de systèmes plus grands que ceux que nous produisons déjà. Celà implique de la R&D, et surtout des projets plus grands avec plus de moyens. C'est le cas des projets proposés au PNUD (Programme des Nations Unies pour le Développement et le BID (Banque Inter-américaine de Développement). Ceux-ci incluent le développement de systèmes énergétiques plus puissants et leur intégration dans un mini-réseau alimenté pour l'instant par un générateur diesel, dans le but de le rendre à la fois économiquement viable et moins polluant.

Sauf que dans le cas du plus petit projet sur lequel je planche en ce moment, ce que veut l'organisme donateur est un impact plus direct. Avec peux d'argent, apporter la lumière à des familles pauvres qui vivent dans des coins isolés. Mais celà pose un problème logistique d'un côté, et aussi sur comment trouver ces familles éparpillées dans un territoire très grand, en dehors des communautés que l'on connait déjà. Une piste en cours d'analyse est la possibilité d'un partenariat fort avec le Gouvernement Régional (GTR-K) notamment pour la logistique et la sélection de familles bénéficiares potentielles. Et même si celà ne va pas être simple dans la pratique, ce peut devenir un des plus beaux projets que l'ONG aura mené à bien.

Le débat sur le type d'impact et de l'échelle du projet est extraordinairement intéressant. Et il est en lien direct avec la définition de la mission de l'ONG et de ses objectifs, soulevant parfois des contradictions en apparence. Plus l'échelle est grande, moins direct est l'impact local, mais plus grand il est au niveau de l'économie et de l'environnement dans la région. Et par ailleurs, impact indirect n'exclut pas forcément impact direct non plus. Un grand projet sur 3 ans peut permettre de développer une solution plus étoffée avec des systèmes d'énergie plus puissants, mais aussi inclure en même temps des systèmes très simples pour des maisons n'étant pas connectées au mini-réseau d'une communauté, leur permettant ainsi d'avoir au moins de la lumière et de brancher une radio. Parfois comme dans le cas de Tasbapauni dont j'ai déjà parlé, le simple fait d'installer un banc de batteries dans un centre de santé relié à un générateur diesel permet pour moins de 1000$ d'avoir une attention médicale 24 heures au lieu de la durée durant laquelle fonctionne le générateur (souvent moins de 10 heures par jour).

Rapidement pour terminer, celà fait déjà 8 mois que je suis ici, les deux tiers de mon contrat, et les nouvelles du côté de l'Europe pour du travail en rentrant sont plutôt désespérantes: embauches congelées cette année. Donc en solution de secours j'ai négocié une extension de 6 mois pour mon contrat ici. En contrepartie de cette extension, je passerai le mois d'août en Europe, un mois de vacances en plus de celles prévues initialement. Je viens donc de réserver un vol pour Madrid, et arriverai en France autour du premier août, après avoir rendu visite à mes amis d'Espagne. Je reviendrai ensuite au Nicaragua débût septembre pour rester jusqu'à février 2010. Et si la situation n'est pas encore redevenue propice à ce moment, je pourrais alors prolonger encore 6 mois de plus. Dans ce cas, j'aurais droit à une prime de réinsertion de 3700 euros. Mais on n'en est pas là, et dès mon retour de vacances en septembre je bénéficierai d'une indemnisation qui me permettra d'amortir le coût des billets d'avion pour l'Europe.