30.6.10

Syngué Sabour

Je me rappelle qu'un jour, peu avant de m'embarquer pour cette aventure au Nicaragua je m'étais dit "si après çà je retourne à ma vie actuelle, ce sera parce que je serai déçu de moi-même ou du monde, ou des deux".

Cette phrase m'est revenue en tête alors que je lisais un livre dont le titre est celui de cet article, et qui signifie "la pierre de patience". Il s'agît d'une légende musulmane selon laquelle il existe une pierre qui absorbe toutes les souffrances, et que le jour où cette pierre éclatera, ceux qui lui auront transmis leur souffrance en seront alors défnitivement libérés.

A Bluefields les loisirs se font rares alors on lit beaucoup, et on écoute. Les histoires vont des drames quotidiens comme le choc frontal de deux pangas dans un coude de rivière isolé laissant quelques morts, à l'incendie d'une maison dû à une lampe à pétrole surprenant une famille dans son sommeil. Parfois ce sont des histoires personnelles plus dramatiques, un père devenu mercenaire durant la guerre et assassiné par des enemis d'un temps passé mais jamais oublié, l'assassinat d'un ami par des tueurs à gage en représaille à une intervention involontaire dans une lutte entre cartels de la drogue, le viol d'un bébé dans la maison de la mère sortie un instant et la vengeance de la famille contre cette dernière.

Plus rares sont les histoires qui finissent bien dans les endroits comme le Nicaragua, et immense est le besoin de se confier des gens, car ici se confier équivaut à se mettre en danger. Mais avoir une amitié ou une histoire plus intime avec une personne d'ici c'est ouvrir la porte à un type de relations que relativement peu de personnes ne souhaitent vraiment assumer. Peut-être certaines histoires sont-elles plus faciles à entendre lorsque l'on se trouve dans un monde qui n'est pas le sien, mais parfois une certaine appréhension à écouter une histoire nouvelle s'installe, une crainte de ce que l'on va entendre. On prête une oreille parfois fébrile comme l'on prêterait un mouchoir, pour écouter l'Histoire d'un pays où l'on ne meurt pas de faim mais de désespoir.

Apprendre à écouter c'est une bonne chose vous me direz, mais parfois trop c'est trop. On absorbe comme la pierre tant que l'on peut, on aide où on peut, on comble temporairement ce besoin d'une oreille à qui se confier, comme une pinoche pour boucher une voie d'eau en attendant une acalmie. Mais celà fatigue moralement, et il est dur de rester indifférent à ce monde impitoyable aux airs extérieurs de paradis. C'est alors le moment de se poser la question de pourquoi on est venu, et de ce que l'on souhaiterait laisser derrière soi.

En attendant j'ai l'impression d'avoir vieilli de 10 ans depuis que je suis arrivé, et ai entendu plus de drames durant ces 2 années que durant tout le reste de ma vie. J'aurai pinoché du mieux que je pouvais la coque en papier maché d'un bateau qui n'a pour boussole que l'espoir dérisoire d'un peuple qui a conquis sa liberté pour rien. Et au boût du compte je commence à me demander si ce n'est pas moi qui prends l'eau, c'est pourquoi il est temps de mettre les voiles avant d'éclater. La décision est donc prise, et le cap amarré au nord-est pour un retour à ma vie d'avant, le monde réel, peut-être.

Une autre chose dont je me rappelle à présent est une idée que j'avais discutée avec mon illustratrice préférée avant de partir, celle de me créer un personnage imaginaire pour raconter ces histoires que j'ai racontées dans ce blog. Je me serais alors autorisé des distorsions de la réalité qui l'auraient rendue plus photogénique tout en en préservant l'essence. S'inventer un personnage, un nom, une vie. Quelques idées de noms me viennent parfois à l'esprit, comme des réminiscences d'une vie imaginaire dont le fil ce perd au fil de rencontres réelles ou rêvées: Eddy Sambola, Alex Noriega, Nathan Attallah, Oscar Valverde, Ivan Cannavaro...

Au final je n'aurai raconté dans ce blog que la réalité crue sans m'inventer de personnage, même si celle-ci n'est parfois pas loin de ressembler à une histoire de fiction, et maintenant ce sont des images qui me reviennent. A Barcelone d'abord, avant que je ne commence ce blog. Dans les ruelles du quartier gothique, aux prises avec des revendeurs de haschish qui me prenaient pour un policier en civil, à quelques pas de la Plaza Real où vivait le célèbre détective Pepe Carvalho. Sur la côte Atlantique Nord du Nicaragua ensuite, la marche de nuit sur la plage après un naufrage contrôlé, à la recherche d'une communauté Miskita parmi celles qui sont depuis quelques années aux mains des trafiquants Colombiens. C'était juste quelques jours après le crash d'un avion plein de cocaïne qui avait engendré une guerre entre les soldats de la marine et les paysans locaux. Ou encore sur les pas de l'ex-combattant de la Contra El Coyote, qui vit reclu dans la jungle de la réserve Cerro Silva, et où les métisses n'osent pas s'aventurer en raison des rumeurs sur les stocks d'armes datant de la guerre qui s'y trouveraient encore, et dont El Coyote se servirait pour chasser les intrus et éloigner les curieux. Ou encore les voyages en pirogue au fil de l'eau à travers le territoire indien Rama, les après-midis passées sur l'île de Rama Cay à regarder les matchs de base-ball féminin, assis sur le môle qui protège le parc à huitres avec une bouteille de Chicha Bruja. Enfin les ballades le long des plages de sable tantôt blanc et tantôt volcanique entre Monkey Point, point de départ du futur canal sec qui devrait un jour rivaliser avec celui de Panama, et la communauté paisible de Bangkukuk, loin très loin du tumulte des urbanisations.

Ces histoires sont parmi celles que je garderai en mémoire précieusement, une fois terminé ce chapitre qui va bientôt se clore et qui fait suite à d'autres, comme celui de mes premiers voyages en Amérique du Sud, il y a de cela déjà bien longtemps. Il est un peu tôt pour savoir où se déroulera le prochain, mais si le vent me porte dans la même direction que celle que me souffle une petite voix intérieure depuis quelques temps, alors ce sera au Sud de l'Europe, sur le chemin qui mène aux origines de l'Humanité.

23.5.10

Rythmes et Couleurs: Palo de Mayo 2010

Le temps passe, et après 3 mois au sec les nuages chargés d'électricité sont de retour, juste à temps pour le carnaval qui doit consacrer l'arrivée officielle des pluies. L'électricité descend alors du ciel pour se transmettre aux corps ruisselants et exaltés, c'est l'énergie du Palo de Mayo.

La musique vous la connaissez déjà un peu, j'en distille régulièrement quelques extraits dans ce blog à vocation multimédia. Elle peut prendre plusieurs formes, cette fois j'ai choisi celle qui me fascine le plus, la musique Punta. La musiques des Garifunas du Honduras et d'Orinoco, cette même communauté dont je parle souvent, autant en terme de travail que pour l'intérêt du lieu et de sa culture.

Et puisque l'on parle d'énergie et de musique Garifuna, j'ouvre une parenthèse pour parler à nouveau d'Orinoco, et faire la différence entre développement énergétique et développement humain. Orinoco est dotée d'un mini-réseau alimenté par un générateur diesel. Les gens disposent ainsi d'un service électrique de 12 heures par jour, enfin c'est ce que disent du moins les chiffres. L'autre face de la réalité est un taux de 50% de non-paiement des gens connectés, malgré la subvention de l'énergie dérivée du pétrole à plus de 75%.

Même si la communauté n'est pas parmi les plus pauvres de la côte, ses ressources naturelles (bois et poisson) se sont affaiblies et la mentalité de consommation s'est développée en même temps que le transport. Résultat, les gens achètent à présent leur poulet et légumes depuis Managua au lieu de les produire eux-mêmes. Pourtant, la communauté reconnait qu'elle pourrait cultiver une superficie deux fois supérieure à celle actuelle sans déforester. Mais les jeunes ne veulent plus travailler la terre, ils préfèrent conduire une panga ultra-puissante ou revendre n'importe quoi, tant qu'il y ait des gens pour y acheter. Imaginez que la plupart des jeunes y ont un téléphone cellulaire alors qu'il n'y a pas vraiment de réseau. Mais avoir un portable qui coûte plus que le salaire de ses parents, ça permet de cultiver cette image que tous les jeunes poursuivent à travers le monde.

Parfois c'est le contraire, comme par exemple dans le territoire Rama. Là-bas pas de réseau du tout ni d'électricité, donc pas de portables. En revanche, le Gouvernement Territorial indigène lui demande à ce que l'on destine les fonds internationaux au développement d'une production agricole respectueuse de leurs traditions ancestrales, ce qui ne convainc pas du tout les organismes de développement qui pensent eux plus en termes de marché et de globalisation. Et il y a ici une discussion assez intéressante. Le Gouvernement Territorial veut que les gens puissent produire leurs produits de façon traditionnelle et viable, alors que les bailleurs de fonds veulent eux développer le tourisme afin d'augmenter les indicateurs économiques du pays, notamment en développant le commerce entre la côte Atlantique et la capitale du côté Pacifique. Autrement dit, créer des devises pour que les gens puissent acheter leur poulet à Managua comme tout le monde plutôt que les aider à rendre viable l'élevage de leurs poulets et à préserver leurs traditions.

J'imagine que certains des gens qui croient en ce schéma libéral comme unique solution le font de bonne foi, en pensant que la qualité de vie se mesure uniquement en dollars. Et c'est aussi l'un des enjeux que de définir des indicateurs du développement qui ne soient pas basés sur un schéma de développement purement libéral mais sur des valeurs qui respectent les valeurs et traditions de tous les peuples et cultures.

Parfois le développement celà commence par apporter la lumière. Mais la lumière ça ne remplit pas la marmite, alors en parallèle il est nécessaire d'aider la communauté à développer des projets productifs et le transport, ce qui va lui permettre de développer un marché interne, l'organiser, pour ensuite développer un marché externe.

Et parfois comme dans le cas d'Orinoco, l'énergie existe déjà et permet d'alimenter certaines micro-entreprises. Mais il reste à les rendre rentables, et à sensibiliser les gens sur le lien entre économie et environnement. Mais de tels projets peuvent avoir un réel impact s'ils fonctionnent, transformant la communauté en une plateforme pour le développement des communautés plus petites aux alentours. On appelle celà créer un éco-système, dans lequel on cherche les complémentarités. Les petites communautés ont généralement les ressources naturelles, les grandes l'énergie et le savoir-faire pour les exploiter. Reste à faire marcher le tout, ce qui implique générealement de faire s'assoir ensemble nombre d'institutions et partenaires. C'est ce que à blueEnergy on appelle le rôle de catalysateur.

Mais revenons au Palo de Mayo. Comme tout carnaval on y trouve de tout et pour tout le monde, et le catalysateur ici c'est la musique et la danse. Et tout le monde en profite, les parents mais aussi les enfants.

Lors du carnaval, tout est permis, le but étant de s'amuser tous ensemble et d'oublier ses problèmes.

Et bien sûr pas de carnaval sans l'élection de sa Miss. Chaque comparsa qui parcicipe au Palo de Mayo élit sa candidate au titre de Miss Palo de Mayo.

Palo de Mayo c'est donc un défilé des différentes comparsas qui dure toute l'après-midi du dernier samedi du mois de mai, et sera suivi par Tululu, le lundi soir. Tululu c'est le défilé final où toute la population de Bluefields défile au son des tambours, et danse jusqu'au boût de la nuit pour remercier la déesse de la fertilité et l'arrivée de la pluie.



Et en live voilà une idée de ce que celà donne ... de nuit, puisque le défilé commence à 22 heures.



4.4.10

Yacht Design: Parte 2 - Práctica


El tiempo pasa rápido, hace apenas un mes estaba subiendo el Río San Juan para llegar a Los Chiles en Costa Rica y poder sellar mi pasaporte. De regreso a Bluefields, este mes pasado ha sido enfocado en un proyecto que seguimos negociando para las comunidades Garífunas de la Cuenca de Laguna de Perlas, antes de tomar un nuevo descanso ahora con las vacaciones de Semana Santa. Esta vez, nada de transporte comercial sino 6 días fantásticos de navegación en la bahia de Bluefields con nuestro cayuco ahora personalizado (ver diseño en el artículo anterior).

La idea era cruzar la bahía hasta llegar a Rama Cay más en el Sur, pasando antes por la isla grande que cierra la bahía, el Cayo Venado. Allí solo pasamos una noche, antes de salir corriendo por la cantidad de mosquitos, hormigas y otros insectos que nos tuvieron rascándonos todo el resto del viaje. De allí, fuimos directo a Rama Cay donde nos quedamos 5 días, con escapadas en el Cayo Misión, y en Big Point para visitar un proyecto de futura comunidad Rama.

Y como unas imágenes valen más que mil palabras, aqui va un video realizado en forma de documental por mi compañero de viaje Gringo. Es en inglés, a veces Creol-Rama y espero lo disfruten tanto como él cuando lo realizó (aprovechó para burlarse de mí bastante).




Aquí abajo está un mapa del recorrido. Las grandes flechas representan la dirección del viento predominante para cada parte del recorrido, con el color respectivo que corresponde al mismo trozo de nuestro viaje. La línea naranja indica el límite norte del territorio Rama.


Para la pequeña Historia, es interesante notar que Rama Cay es el lugar donde Colette Grinevald tuvo uno de sus primeros contactos con los Ramas. Este primer contacto fue un poco abrupto ya que ella era militante Sandinista en esta época, durante la guerra entre los Sandinistas y la Contra. Muchos líderes Ramas sin embargo fueron mercenarios para la Contra, contratados por su conocimiento del territorio y en particular del bosque. De tal manera que Colette fue hecha presa cuando llegó a Rama Cay, antes de ser liberada. Pero las cosas han cambiado mucho desde esta época, y como anécdota, Colette tuvo un día como guía para su proyecto de revitalización de la lengua Rama en la zona del Río Indio el mismo Rama que la había hecha rehén en Rama Cay años antes.

Aquí van unas de las fotos en la Isla con los niños Ramas:


Estos días en Rama Cay han realmente sido extraordinarios, y quisiera agradecer a la gente allí y en particular a la familia Macrae que nos han acogido como si fueramos parte de la familia. Aún llega muy poco turismo en la Isla, y sin embargo es probablemente la comunidad más autentica y tranquila que puedan encontrar en la Costa Atlántica de Nicaragua. Incluso en Bluefields, muy poca gente conoce la Isla, en parte por la falta de transporte comercial. Para los que estén interesados en venir a visitarla, me pueden dejar sus datos de contacto en comentario y les pondré en contacto con la misma familia que nos alojó.


Esta vez ya no hay más vacaciones previstas antes de varios meses, y el próximo evento será sin dudas el Palo de Mayo, el carnaval de Bluefields que celebra la llegada de la temporada de lluvias. Pero antes de eso, nos quedan aún buenos fines de semana soleados para disfrutar de nuestra embarcación. Y hemos prometido regresar a Rama Cay pronto ... Hasta luego entonces !